L’ennui et le non-sens sont certainement deux des maux principaux de notre époque désacralisée et atomisée. Paul-Antoine Garisat s’empare de ces deux pathologies pour nourrir un premier roman à la fois acide et jubilatoire. Son (anti)héros, jeune diplômé blasé et fumeur de joints, s’agite comme une souris de laboratoire égarée dans le labyrinthe d’une existence matérialiste, formatée et sans passion, dont il cherche à tout prix à s’échapper, se heurtant à tous les murs et griffant désespérément les parois de ses ongles. Aspirant à l’autonomie, à l’indépendance, à un « autre chose » qu’il peine lui-même à définir, accablé par l’héritage de conformisme cotonneux légué par les soixante-huitards satisfaits, notre « héros » va multiplier les expériences, des plus burlesques aux plus crues (lecteurs trop jeunes ou trop pudibonds s’abstenir…), pour tenter de dissiper ce sentiment d’étouffement qui l’oppresse. Des pérégrinations hautes en couleurs qui le feront croiser des petits chefs de service aboyeurs, des employés déprimés et fatalistes, des stagiaires exploités, des clochards philosophes, des travestis aux velléités meurtrières, des agents de sécurité fort peu scrupuleux… série de rencontres qui le conduiront à un choix radical de changement de vie.
Dans un style sobre et incisif, qui n’est pas sans rappeler le regard clinique d’un Michel Houellebecq, Paul-Antoine Garisat nous offre l’implacable description d’un monde subclaquant, réduit à l’étroitesse d’un utilitarisme sans perspective, ponctué d’hédonisme sans élévation, ballotant une population de morts-vivants entre esclavage salarié et consumérisme triste. Un tragique état des lieux heureusement parsemé de quelques grands éclats de rire engendrés par des situations loufoques et burlesques, et transcendé par l’idée que rien n’est totalement immuable et que même les systèmes les plus apparemment solides et établis offrent des interstices dans lesquels peuvent s’immiscer les volontés individuelles. Si l’on ne peut peut-être plus changer le monde, on peut encore s’en évader… Pour le meilleur, ou pour le pire…
Xavier Eman – Présent
Chronique de la stagnation, Paul-Antoine Garisat, Editions ETT/Dépendances, 208 p., 19 euros.
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