Les « tradis » vus de l’extérieur, voilà résumé le livre paru début décembre sous le titre A la droite du Christ, les catholiques traditionnels en France depuis le concile Vatican II. Ecrit par Olivier Landron, professeur à la faculté de théologie de l’université catholique de l’Ouest, l’ouvrage a l’immense mérite d’abandonner le ton polémique auquel nous avaient habitués des « spécialistes » tels que Christian Terras (Le Retour des intégristes, 2007). Il rappelle évidemment La Crise intégriste de Nicolas Sénèze, publié en 2008, dont il reprend d’ailleurs la grille de lecture : l’émergence d’un mouvement traditionaliste tient plus à des raisons culturelles et politiques qu’à des raisons théologiques ou même liturgiques.
L’impasse de l’explication maurrassienne
Chez Sénèze comme chez Landron, la source du mal est à chercher du côté de l’Action française et de son principal animateur : Charles Maurras. Voilà qui pourrait fragiliser l’ouvrage, tant la pensée maurrassienne est loin de l’influence hégémonique qu’Olivier Landron lui prête dans la naissance et le développement de la Tradition catholique. Car, malgré son admirable longévité et sa grande production intellectuelle, que pesait l’Action française dans les années 1970, 1980 et 1990 ?
Cette perspective fait, en outre, l’impasse sur la déchirure terrible que constituèrent la réforme liturgique et les abus innombrables qui la suivirent. Combien de prêtres brisés, de familles désorientées, d’enfants repoussés par la laideur du spectacle qui leur était désormais imposé dans de trop nombreuses paroisses ? Puisque Maurras est invoqué à tort et à travers, il suffit d’écouter les paroles de Brassens et sa chanson « Tempête dans un bénitier » pour comprendre que l’anar – et avec lui de nombreux Français peu ou pas pratiquants – avait bien saisi que le problème était avant tout dans la rupture avec le sacré et son esthétique. « Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde… »
Les « tradis », combien de divisions ?
Ce livre n’a-t-il donc que des défauts ? Tant s’en faut. Il permet de dresser un état des forces « traditionalistes » en 2015 et de comprendre les victoires culturelles que celles-ci ont obtenues à l’intérieur de l’Eglise, mais aussi sur le terrain politique et médiatique. Il serait d’ailleurs à rapprocher de l’ouvrage de Gaël Brustier, Le Mai 1968 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ? afin d’offrir un panorama plus complet. Car les manifestations de 2013 représentent un symbole historique de la vivacité de la famille traditionaliste. Il est devenu incontestable que les communautés traditionnelles constituent désormais, avec les communautés charismatiques, le vivier de l’Eglise de demain, la part de séminaristes de ces communautés dans le total national augmentant d’année en année. Comblant le vide des séminaires diocésains, la Communauté Saint-Martin, la Fraternité Saint-Pierre, l’Institut du Christ-Roi et bien d’autres font le plein. Sur le terrain politique, la présence de Marion Maréchal-Le Pen au pèlerinage de Chartres et sa fierté de revendiquer sa foi catholique ne représentent que la pointe de l’iceberg. Derrière elle, la génération passée au creuset de la Manif pour tous a su prendre des places à la force de ses convictions : ici attaché parlementaire FN, là journaliste prometteur d’un grand hebdomadaire ou d’une chaîne de télévision alternative, philosophe écouté, tenant de l’écologie intégrale, jeune chef d’entreprise, élu local. Olivier Landron nous offre une preuve supplémentaire que les combats menés depuis des décennies n’étaient pas vains et que la résistance spirituelle a soutenu une initiative culturelle offensive, « à la droite du Christ ».
Les pères fondateurs et le combat par la plume
Olivier Landron offre également au lecteur de fins portraits, relativement complets, des principales communautés : la Fraternité Saint-Pie X bien entendu, mais aussi l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, l’abbaye Saint-Joseph-de-Clairval ; et de nos grandes figures : Jean Ousset, Gustave Thibon, Michel de Saint-Pierre, Pierre Boutang ou encore Philippe Ariès. Jean Madiran n’est pas oublié et notre cher journal est cité à plusieurs reprises. Présent, Itinéraires, La Nation française… que serait devenu le mouvement traditionnel s’il n’avait été irrigué et nourri par les chroniques intelligentes des Jacques Perret, François Brigneau, André Charlier, celles de Bernard Antony, Francis Bergeron, Yves Daoudal et Alain Sanders ? N’est-ce pas une réponse définitive à ceux qui se félicitent de la mort du papier devant le rouleau compresseur numérique ? Pour que la tradition vive, il faut qu’elle puisse se transmettre. L’Europe qui nous porte est la civilisation de la chose écrite, des bibliothèques aux larges étagères, des vieux livres hérités, des revues lues, annotées, relues et digérées pour nourrir les combats de demain. Du trésor d’Itinéraires, de celui de Présent devraient être exhumées les plus belles pièces, sans douter qu’elles aient fort à dire à notre temps. Démarche d’utilité publique. D’ici là, saluons le travail d’Olivier Landron qui, pour imparfait, n’en est pas mois pédagogique et honnête. Un tel portrait de famille n’était pas chose aisée.
Pierre Saint-Servant – Présent
A la droite du Christ, les catholiques traditionnels en France depuis le concile Vatican II, 1965-2015, par Olivier Landron, éditions du Cerf, 272 pages, 20 euros.