Par Alain Sanders
Beaucoup de lecteurs de Présent ne connaissent de notre Chard que son trait quotidien – et un trait, c’est une flèche – qui relève bien souvent plus de l’édito que du seul dessin de presse : Chard à coups de fusain, Chard la pamphlétaire.
Ceux qui la connaissent mieux – et qui ne l’en aiment que plus – savent que c’est – aussi – une illustratrice recherchée, un peintre reconnu et l’auteur d’albums (textes et dessins) qui sont autant de chroniques précises et acerbes d’une France qui se délite (et je pense, notamment, à Profanation qui date de 1996).
Naguère, une chanteuse de poids chantait : « Montparnasse, c’est mon quartier / I’ faut bien en avoir un ». Chard, son quartier – mieux : sa paroisse –, c’est Saint-Germain des Prés. Et c’est là que se situe l’action de cette chronique « villageoise » justement intitulée : Un paroissien de Saint Germain des Prés.
Son héros est un « paroissien » sans histoire(s). Retraité, il met un peu de beurre dans ses épinards en tartinant des articles historiques « pour des revues qui, l’une après l’autre, battent de l’aile et disparaissent ».
Son quartier – sa paroisse donc – il l’a vu passer du statut de havre (supposé) de la culture à celui de rendez-vous de la fripe et de la bouffe : « J’ai connu un quartier où les boulangeries, les boucheries, les drogueries (avec leurs panneaux multicolores) voisinaient harmonieusement avec les galeries d’art et les antiquaires ». Un temps où il y avait de vraies librairies. Et des bouquinistes qui vendaient des livres.
Un jour, le train-train de notre « paroissien » est bousculé – et le mot est faible par l’irruption de sa nièce, Francine (qui préfère se faire appeler « Elodie »). Des explications embrouillées de la donzelle, il ressort qu’elle est enceinte. Elle porte un bébé pour le compte de deux homos (l’un des deux est le père biologique) en mal d’adoption. Moyennant finances. Le hic, c’est que Francine-Elodie veut désormais garder l’enfant. Et qu’elle n’a plus les moyens de rembourser les sous qu’elle a reçus pour ce trafic illégal…
L’oncle, balancé dans un monde qui lui est totalement étranger, cache la gamine jusqu’à la naissance du bébé, un petit Ernest, la soustrayant au désir de vengeances des deux homos qui voudraient au moins récupérer leurs sous.
Je ne vous en dis pas plus, vous laissant découvrir les tribulations du « paroissien », de Francine-Elodie, de bébé Ernest et des braves gens d’un quartier qu’ils ne reconnaissent plus. Sachez cependant que le tonton va organiser sa vie, devenue soudain très compliquée, autour de l’éducation de ce bambin.
Chard la pamphlétaire, ai-je dit plus haut. Mais aussi Chard la tendresse qui porte un regard acéré, mais plein d’empathie, sur ce Tonton Courage : « Je tâche de faire le tri dans le fatras idéologique dont l’Education nationale bourre le cerveau d’Ernest et, sans avoir l’air d’y toucher, je détricote le discours officiel ».
De temps à autre, il pousse une pointe vers la proche et moins proche banlieue (« Partout où la RATP pénètre »). Chez les extra-terrestres. Et il regagne sa paroisse, malgré tout…
Une chronique ? Oui. Mais bien plus que ça : une étude sociologique. Dans un siècle ou deux, quand les chercheurs tenteront d’expliquer la fin d’un monde – délicieusement franchouillard –, ils s’appuieront sur ce Paroissien de Saint-Germain des Prés. Parce que tout y est dit de notre décadence. Avec, Chard oblige, un supplément d’âme.
Un paroissien de saint Germain des prés, Chard, Atelier Fol’Fer,