♦ Selon la légende durablement entretenue, les philosophes des « Lumières » auraient défendu la cause du peuple et travaillé à son émancipation. Qu’en est-il ? Chaussant nos bésicles, nous avons glané des pépites dans quelques citations de ces « illuminés ».
Voltaire
Ecrivant à son ami Etienne Damilaville, homme de lettres acquis aux idées philosophiques des « Lumières », Voltaire déclare : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être… ».
Rousseau
En 1762 est publié le traité de pédagogie Emile ou De l’éducation dans lequel Rousseau déclare sans ambiguïté : « qu’il [Emile] croit être le maître et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a pas d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté, on captive ainsi la volonté même […] le pauvre enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien, n’est-il pas à votre merci ? » et, pour ce faire, l’éducation du jeune Emile comporte plusieurs périodes : de la naissance à 12 ans, rien ne lui est enseigné ; à 12-13 ans, Emile apprend un métier manuel et reçoit quelques notions de physique, cosmographie et géographie et rien d’autre ; 15 à 18 ans, la plus grande partie du temps est consacrée à l’éducation sexuelle et à l’apprentissage de la vie en société…
La Chalotais
En 1763, La Chalotais publie un Essai d’éducation nationale dans lequel il propose un programme d’enseignements scientifiques destinés à se substituer à ceux des Jésuites. Voltaire le félicite d’en exclure les enfants du peuple : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs…. » et ledit La Chalotais justifie lui-même ses choix : « le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations ».
Gabriel François Coyer
Auteur d’un Plan d’éducation publique (1770), Gabriel François Cuyer note que sur 5160 élèves des collèges de Paris, 2460 sont des enfants du peuple ; il propose de les renvoyer à leurs parents !
Louis Philipon de La Madelaine
Dans ses Vues patriotiques sur l’éducation du peuple (1783), Louis Philipon de La Madelaine, auteur d’ouvrages de pédagogie, exprime le vœu « que l’usage de l’écriture soit interdit aux enfants du peuple ».
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En vérité, cette pléiade de beaux esprits « illuminés » a brillé de tous ses feux infernaux pour réduire en cendres l’instruction du peuple qui avait cours au XVIIIe siècle, témoignant sans équivoque du mépris le plus profond et le plus constant à l’égard du peuple.
Dans le prolongement et à la lueur de ces « illuminations », nous comprenons mieux le projet révolutionnaire de Le Pelletier de Saint-Fargeau, repris par Robespierre, où il n’est nullement question d’instruire les enfants du peuple mais de les occuper à des activités et de former des citoyens évidemment conformes à l’esprit révolutionnaire. Constante également exprimée dans la déclaration du conventionnel Marie-Joseph Chénier le 5 novembre 1793 : « L’instruction publique a d’abord pour but de former des républicains ».
Nous comprenons mieux également aujourd’hui la « refondation » de l’Ecole pour nos enfants – du primaire à l’université – caractérisée par la suppression des cours transmetteurs de savoirs auxquels sont substituées des activités et à qui est donné pour mission première de transmettre les « valeurs de la République ». Cette « refondation » est bien l’aboutissement de cette philosophie dite « des Lumières » et du projet révolutionnaire subséquent.
Rappelons également pour mémoire, que c’est Nicolas Adam, précepteur dans les familles aristocratiques, qui a inventé la méthode globale de lecture en 1787 – toujours en usage sous des appellations autres – déclarant : « Eloignez des enfants les alphabets et tous les livres français et latins ; amusez-les avec des mots entiers à leur portée ».
Ne pas instruire le peuple et l’enrégimenter, « casser » l’élite… Nous avons bien compris : c’est pour l’émancipation du peuple et le rayonnement de la France !
Claude Meunier-Berthelot – Polémia