Les médias se targuent de nous expliquer la périlleuse montée du vote FN : il y a d’un côté les rats des villes – riches, bien éduqués, bisexuels, endimanchés – et de l’autre les ratés, les chômeurs, les abrutis des campagnes qui n’ont pas compris l’hyper-réalité globalisée. Sur ces aimables prémisses, on multiplie les expertises savantes.
Il y a pourtant un mystère dans cette histoire : c’est le vote de quelques grandes villes (pas toutes, quand même !) et de nos bons Parisiens. Dans une France au bord de la crise de nerfs et de la révolution, le Parisien bobo (sot, en espagnol) reste un euphorique du système. 6 % votent FN, le reste PS ou NKM. Alors, la question angoissée se pose : comment se fait-ce ?
Il y a d’abord une exception culturelle parisienne, un peu comme aux USA (les smart kids à New York et L.A., les rednecks dans le Midwest), et cette exception est ancienne. Un de nos génies oubliés nous a éclairés à ce sujet il y a presque deux siècles : il s’agit d’un certain Balzac. Ce Balzac plus très honoré avait compris que le Parisien relevait d’une fabrique humanoïde qui ne donnerait un jour plus rien de français. Le Parisien serait un « être vulcanisé ». On le cite :
À force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien. Aucun sentiment ne dominant sur sa face usée par le frottement, elle devient grise comme le plâtre des maisons qui a reçu toute espèce de poussière et de fumée. En effet, indifférent la veille à ce dont il s’enivrera le lendemain, le Parisien vit en enfant quel que soit son âge.
On devine bien tapis l’euphorie perpétuelle de Pascal Bruckner et l’homme festif du regretté Muray. Balzac précise aussi – avant Jacques Dutronc – que le Parisien se fout de tout au fond, vivant au rythme de sa pensée jetable et de la vétille imprimée.
Il murmure de tout, se console de tout, se moque de tout, oublie tout, veut tout, goûte à tout, prend tout avec passion, quitte tout avec insouciance… Il va toujours droit devant lui, prend son patriotisme tout fait dans le journal, ne contredit personne, crie ou applaudit avec tout le monde, et vit en hirondelle.
Comme on sait, elles ne font plus le printemps. Ce Balzac nous explique que le Parisien fait le malin mais qu’il est plus naïf que la moyenne : ils paraissent douteurs et sont gobe-mouches en réalité… Presque tous adoptent commodément les préjugés sociaux, littéraires ou politiques pour se dispenser d’avoir une opinion.
Ici, Balzac annonce Alain Paucard et sa « crétinisation par la culture » : en lisant Libé ou en allant à l’Expo, notre parigot gobe son prêt-à-penser et se tient à carreau.
Enfin, il a bien sûr le fric, ce pilier (avec le sexe) du PS : les Parisiens se ratatinent presque tous dans la fournaise des affaires, affaires qui se limitent à l’immobilier et à la politique.
Jadis, les concierges votaient à droite. Nos digicodes votent socialiste.