Le magazine progressiste Les Inrockuptibles a publié une interview des organisatrices d’un festival féministe qualifié de prometteur et qui appelle à sortir de l’hétérosexualité. Cette manifestation est basée sur le présupposé suivant : On ne naît pas hétérosexuel.le, on le devient, périphrase de l’adage féministe qui ouvre le tome II de l’essai de Simone de Beauvoir Le deuxième sexe.
Si le but de cette exposition peut provoquer des ricanements et des haussements d’épaules voire scandaliser ou faire crier à la dictature et au totalitarisme, il ne faut surtout pas faire de contre-sens : l’exposition n’appelle pas à cesser les relations sexuelles entre hommes et femmes et si son but est de convaincre toutes les « femmes » de devenir « lesbiennes », cela ne veut pas dire exiger d’elles qu’elles renoncent à faire l’amour avec les mâles (ouf, nous sommes sauvés !) En fait les organisatrices s’appuient sur les thèses développées par la Française Monique Wittig (1935-2003), l’une des fondatrices du MLF qui se définissait comme lesbienne radicale. Elle appelait à dépasser le genre et les catégories de sexe par l’avènement du sujet individuel et la libération du désir. Elle a dénoncé le mythe de la « femme » et a mis en cause l’hétérosexualité comme régime politique et surtout économique mis en place pour aliéner les êtres ayant des chromosomes XY ou s’identifiant à celles-ci.
Les organisatrices de ce festival, Juliet Drouar, Juliette Hammé et Tamar (sans nom de famille ?) nous expliquent que l’hétérosexualité est avant tout une forme d’organisation qui puise son utilité dans une économie capitaliste (sans doute, le mal absolu), racialisée et coloniale (n’en jetez plus !). Étant un mâle cisgenre plongé jusqu’au cou dans le privilège blanc et l’hétérosexualité, j’ai sans doute par nature beaucoup de mal à accéder à la vérité de Mmes Drouar, Hammé et Tamar. Néanmoins, si j’ai bien compris leur argumentation, le capitalisme qui promeut le travail gratuit aurait aliéné les femmes au point qu’elles donnent, sans recevoir en échange aucun salaire, une grande partie de leur temps au sein de leur famille. Le féminisme lui-même serait suspect, car la libération des « Blanches » se serait faite en aliénant les racisées. J’ose une traduction : les « Blanches » auraient récupéré en partie leur liberté en déléguant une bonne part des soins de leurs bébés et l’intégralité des tâches ménagères à des employées (esclaves ?) appartenant aux minorités de couleur ou musulmanes.
Mme Drouar souhaite que les femmes ne soient plus dépendantes financièrement des hommes dans leurs couples ; pour cela elle demande à l’État de prendre en charge les frais de reproduction (c’est-à-dire salarier les mères ?). Tamar, elle, explique que les « lesbiennes » ne sont pas des « femmes » ; en ce sens elles ne sont pas la propriété d’un homme dans leur vie privée, même si elles ont des patrons, des pères, des voisins et des… violeurs. Cette dernière catégorie signifie-t-elle dans l’esprit de Tamar que les hommes sont par nature tous des agresseurs sexuels ? L’hétérosexualité serait-elle toujours un viol ? Tamar continue en évoquant la contraception qui serait pour les « Blanches » aliénante et les « féminiserait » de force en appuyant ainsi leur identité cisgenre hétérosexuelle. Il est certain que si une femme n’est jamais pénétrée par un pénis, elle n’aura nul besoin de la pilule ! Enfin selon Tamar, notre société promouvrait la maternité chez les Blanches et la réprimerait chez les « racisées ».
On sort perplexe de la lecture de cette interview, faite avant tout pour provoquer et donner envie de visiter l’exposition. Le monde décrit par ces jeunes femmes est tout bonnement effrayant. Il est pire que la dystopie de La servante écarlate, car, dans ce roman de Margaret Atwood, la domination des hommes est apparente et nullement cachée. Dans l’univers de Mme Drouar, Hammé et Tamar (qui ne sont pas des penseuses isolées, mais représentent un courant idéologique qui possède un nombre non négligeable de partisans), la domination masculine est cachée et résulte de manipulations « mentales ». Comme dans La servante écarlate, la société Occidentale serait partagée en plusieurs castes aux privilèges différents.
Je ne ferai que cette remarque qui m’a sauté aux yeux : les organisatrices de ce festival semblent attribuer le « mal » qui ronge la société aux mâles et à leurs pénis. Pour ma part, je pense qu’il est inhérent à l’être humain quel que soit son sexe, et qu’il existe des porteuses des gènes XY qui sont des dominatrices et qui aliéneront, autant que des maris machos, les filles qui se mettront en couple avec elles.
Christian de Moliner
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