Trois hommes marchent en montagne sous le soleil aigu de l’Ariège. Trois Stéphanois liés par le sang, séparés par une foule de non-dits et les méandres d’une histoire collective inexorable : Claude, 70 ans, ancien transporteur, enfant des Trente-Glorieuses, qui a prospéré à la force du poignet. Pierre, son fils aîné de 46 ans : divorcé, père de deux filles, sur le point de signer un premier roman à son nom : La Particule du prolétaire – et d’en finir avec la profession ingrate de nègre, chasse gardée des personnalités médiatiques mais aussi des gourous du développement personnel et des imposteurs. Charles, son frère de 9 ans plus jeune, informaticien au parcours chaotique, ancien militant socialiste ayant peu à peu perdu toute boussole politique face au cynisme des partis et aux discours contradictoires des élus. Arrivé au refuge, Claude s’ouv re soudain à ses fils de son désir de revoir sa sœur Gilberte avec laquelle il est brouillé depuis de longues années. Pierre quitte Paris pour mener l’enquête à St Etienne. Mais le face à face avec Gilberte, femme au caractère impossible, et Claude va raviver une vieille blessure et le souvenir de quatre semaines qui ont tout fait basculer il y a trente ans : quand Claude, parti en voyage, avait confié Pierre alors âgé de 16 ans à Jean-Ji, mari de Gilberte et comptable au sein de sa PME. Charismatique, un brin mégalo, alcoolique invétéré mais profondément attachant, Jean-Ji s’efforce de faire l’éducation de Pierre et de son ami Matthieu et s’attire très vite leur sympa baouféthie.
Grâce à lui, les deux ados goûtent ainsi aux nuits folles du Vertige, la boîte de nuit qui rassemble les derniers talents auto-didactes de St-Etienne. Jean Ji, pris au jeu, poussera même l’audace jusqu’à inviter Leïtmotiv, le groupe fétiche de pop-rock des deux ados, en concert. Mais le retour de Claude sonne la fin du rêve. Les masques tombent. Pierre ne reverra jamais Jean-Ji. Gilberte, de son côté, décide de le quitter. Mais de quelle faute Jean-Ji s’est-t-il exactement rendu coupable ? Celle d’avoir révélé au jeune Pierre la « nuit » d’un monde : non seulement celle des fêtards mais aussi celle d’un St-Etienne déjà fini, « hors jeu » ? Etrangement ce sera Charles – le cadet qui, resté à la garde exclusive de Gilberte, n’a pourtant jamais connu les nuits du Vertige – ce sera Charles qui, 30 ans plus tard, « achèvera » l’œuvre de l’oncle indigne peu après les retrouvailles ratées entre Claude et Gilberte. Car au rêve nostalgique de Jean-Ji a succédé la révolte grandissante de Charles, confronté chaque jour d’un peu plus près aux effets délétères des gigantesques mutations socio-économiques imposées par la globalisation. Jusqu’où ira-t-il pour venger la fin d’un monde bafoué par les géants appelés Google, Facebook et consorts ? A quelle action irrémédiable se livrera-t-il pour conjurer la fin de cette société à taille humaine, là où l’individu disposait encore d’une marge de manœuvre appréciable, d’une inspiration propre, d’un avenir à la mesure de ses aspirations ?
Jean-Pierre Montal, éditeur (Rue Fromentin), a publé Maurice Ronet – Les Vies du feu follet (Pierre-Guillaume de Roux, 2013) ainsi qu’un premier roman très remarqué : Les Années Foch (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).