Pays basque et immigration : un changement profond!

Le Pays basque nord et sud vivent leur rapport à « l’autre » et à l’immigration extra-européenne de manière différente. Le poids de l’histoire, de l’industrie, de la lutte expliquant cette différence. Mais la déferlante migratoire actuelle et la crise des réfugiés pourraient bien changer la donne même au sein de la gauche abertzale.

Pour beaucoup de militants bretons, l’abertzale (le nationaliste) basque c’est un sympathique punk, à la coupe de cheveux sorti des années 80 et aux chaussettes de foot enserrant un vieux survèt trouvé à Notre-Dame-des-Landes. Il n’y a d’ailleurs qu’à regarder les portraits des 400 prisonniers d’ETA pour se faire une idée du dressing code de la gauche nationaliste basque. Parmi les plus jeunes d’entre eux, ceux issus de la Kale Borroka (la guerre des rues) des années 90/2000, le look est plutôt « béruriers noirs » que militant irlandais ultra-militariste de l’IRA.

Pourtant, malgré les apparences, le jeune Basque est loin d’être un « anti-fa » orthodoxe tel que la France les connaît. D’une part parce que le nationalisme basque s’est construit sur la doctrine de Sabino Arana Goiri (1865-1903) fortement « racialiste » (pour adhérer au PNV, jusqu’en 1908 il fallait avoir au moins 4 patronymes basques) et rejetant les « maketos » (les métèques),c’est à dire les Espagnols dont l’industrialisation de la Biscaye va alimenter l’immigration à partir des années 1850.

Jusque dans les années 60, la coupure entre Basques « de souche » et allogènes est nette : le PNV est un parti-état, un parti-société. Les Basques et les immigrés espagnols ont des syndicats ouvriers différents (SOV/STV d’un côté & UGT de l’autre),des partis politiques différents voire des clubs de sport différents.

A partir des années 60, ETA nouvellement créé (qui est – rappelons-le – une scission « jeune » du PNV) et son écosystème politico-culturel adopteront les codes du marxisme et du tiers-mondisme en vogue, à l’époque, dans le monde entier. L’immigré espagnol n’est plus un « maketo » mais un « prolétaire opprimé ». Les grandes banlieues de Donostia et Bilbao se couvriront de cités dortoirs et ouvrières où Basques de souche et immigrés espagnols se côtoieront. A la mort de Franco et au retour de la démocratie (relative au Pays Basque tout de même),les radicaux basques d’extrême-gauche y construiront des fiefs en concurrence avec le PSOE espagnol. ETA y recrutera nombre de pistoleros, parmi eux des immigrés de la 2è ou 3è génération.

Naïveté abertzale
Aujourd’hui, animé par un reste de tiers-mondisme, Bildu – à la tête de la mairie de Donostia entre 2011 et 2015- a voulu faire preuve d’amour et de compassion avec les « réfugiés » du chaos mondial en en accueillant quelques éléments. Hélas, les héritiers d’Herri Batasuna ont voulu calquer un schéma obsolète : Les « réfugiés » syriens, soudanais ou sarhaouis d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les prolétaires galiciens, castillans ou asturiens qui venaient, au tournant du siècle dernier, trouver leur pain en intégrant l’industrie basque. Aux dernières élections municipales, Bildu a payé cette naïveté : la question des réfugiés aura été l’un des thèmes de la campagne (avec d’autres, le problème des ordures – le fameux « puerta a puerta » par exemple) et Bildu n’aura pas fait preuve d’une grande capacité de gestion et de discernement sur ces questions. Son candidat-maire Juan Carlos Izaguirre qui avait travaillé auprès des réfugiés sarahouis précédemment, a voulu, lui aussi, accueillir son lot d’immigrés dans une ville qui n’était pas prête à donner autant d’amour à « l’autre » (les immigrés extra-européens en masse sont une nouveauté à San-Sébastien),il l’a payé dans les urnes.

Ironie du sort, certains de ces « réfugiés » ont ensuite été expulsés à coup de trique par la Ertzaintza, la police autonome basque !

Depuis, la ville est dirigée par une coalition PNV/PSOE (le PNV étant le « parti des coalitions », même contre-nature) et l’accueil des pauvres « réfugiés » est de l’histoire ancienne.

Construire une orientation post-conflit
Le problème principal de Bildu est son orientation politique « post -ETA » qui reste à trouver. Avec la fin du conflit armé entre ETA et l’État espagnol, les abertzale – notamment les jeunes- ne votent plus pour la gauche radicale de façon automatique car la discipline communautaire tend à perdre de sa pertinence. Aujourd’hui, les nationalistes basques votent pour des problèmes du quotidien (comme les poubelles à puce ou non, l’accueil des réfugiés ou non, la bonne gestion de la ville ou non) et non pour Bildu parce que Bildu est la vitrine politique d’ETA, l’un des protagonistes du conflit basque.

Or dans une communauté autonome basque qui est appelée à connaître dans les années à venir la problématique des réfugiés et de l’immigration à vitesse accélérée et qui verra le souvenir de la « répression espagnole» s’éloigner, le dogmatisme tiers-mondo-gauchiste de « l’éco-système abertzale » risque de coûter cher à sa vitrine politique. Surtout dans un Pays Basque où l’aranisme et sa vision de la « race basque » face au « maketo » ou au « chino » n’est pas tout à fait mort, même dans la gauche abertzale héritière de Jagi-Jagi.

Daesh à Renteria
Il est utile de signaler que la Ertzaintza s’inquiète de plus en plus des exactions commises par des immigrés extra-européens en communauté autonome, notamment dans le domaine des vols et de la toxicomanie. En 2014, un scandale révélé par « SOS Racismo » (ça ne s’invente pas) avait mis en lumière un plan du commissariat de Sestao en Biscaye pour « identifier les suspects, arabes et toxicomanes, soupçonnés de vols ». Le plan soulignait également les dangers des beuveries de fin de semaine où sévissaient les bandes de « jeunes Maghrébins ». Tout cela écrit noir sur blanc. Evidemment, tant de stigmatisation n’était, aux dires de SOS Racismo, que « pur fantasme » et « fichage ethnique », perpétuant honteusement des « stéréotypes » nuls et non avenus. En espagnol, bisounours se traduit par « Osos amorosos ».

Plus récemment, un Espagnol et un Marocain ont été arrêtés pour avoir diffusé de la propagande de Daesh. Ils auraient été endoctrinés à Renteria. Renteria, riante cité dortoir où des manifestations d’habitants basques dénonçant des Maghrébins coupables d’agressions sexuelles avaient auparavant défrayé la chronique. Renteria (ou Errenteria) est un fief historique de la gauche abertzale et a fourni plusieurs hauts-responsables d’ETA, mais là – plus qu’ailleurs – la population change…

Pays basque nord (plutôt) préservé
Dans les trois provinces du « Pays Basque français », l’héritage jeltzale* de Sabino Arana est à peu près nul. Les militants basques du nord ont toujours regardé leurs frères du sud avec un mélange d’envie et de méfiance. Les « sudistes » ayant tendance à prendre le nord comme un sanctuaire où se reposer, une terre de mission ou une grosse tirelire. Les militants « nordistes », quant à eux, admirent le sud mais voient d’un œil inquiet les sudistes leur imposer leur calendrier et leur réalité nationale totalement différente du nord et, parfois, pesante, notamment aux pires heures d’ETA.

Par contre la masse de la population est elle à la fois très proche des basques du sud et très éloignée d’eux. Au nord, pas ou peu d’industrie, un environnement encore très rural et un fossé grandissant entre la côte et l’intérieur des terres. Sur l’étroite côte basque, dans l’agglomération BAB (Bayonne-Anglet-Biarritz),seule grande agglomération du pays basque nord, il existe des quartiers immigrés (Saint-Esprit à Bayonne, …),une « grande mosquée » toute neuve mais un taux d’étrangers légèrement inférieur à la moyenne nationale (7,8% contre 8,8% / habitant).

Bayonne a cette particularité d’avoir une vieillle tradition d’accueil d’immigrés : les « réfus » basques de la période franquiste et post-franquiste, les Portugais mais également les juifs maranes suite à leur expulsion d’Espagne et du Portugal par l’Inquisition. Notons que Bayonne comporte une synagogue et un cimetière juif (et un ancien maire juif !) et la Bastide Clairence, un peu plus à l’est, un très ancien et très typique cimetière juif. Cette tradition d’accueil est donc ancrée dans la culture basque comme elle est ancrée en Corse où les juifs furent longtemps protégés.

Des nouveaux réfugiés bien différents des anciens
Hélas, les nouvelles populations à « accueillir » sont tout à fait différentes des anciennes. Certains néo-immigrés extra-européens ont bien mis leurs enfants en ikastola (école en basque),mais cette tendance est anecdotique. A Bayonne, comme dans l’ensemble des grandes villes européennes, les musulmans s’affichent et se fondamentalisent. Les maranes d’autrefois cherchaient plutôt à se faire oublier et les Basques du sud étaient accueillis comme des frères. Parfois encombrants mais des frères quand même (aujourd’hui encore une grosse partie d’Hendaye est d’origine « sudiste »). De leur côté, les Portugais au Pays basque comme ailleurs ont plutôt tendance à se fondre dans la population. D’ailleurs, on n’a jamais vu nulle part d’attentats portugais et les honnêtes citoyens sont rarement importunés dans les rues par des bandes ethniques de Basques du sud ou de maranes ibériques enragés !

Dans le Pays basque intérieur, l’immigration extra-européenne est quasiment inconnue. Il est très rare d’y croiser une personne de couleur et la notion de foulard ou de djellabah barbue est de la science-fiction. Ne parlons pas de la burka ou du burkini. Aucune mosquée n’a été construite dans « l’intérieur » (qui compte tout de même quelques 150 communes),et il n’y existe aucun kébab. Tout signe ostentatoire de religiosité musulmane est d’ailleurs difficilement envisageable. Dernièrement, un autochtone de Basse-Navarre me confiait qu’il avait vu pour la première fois à la télévision « des prières de rue » à Paris, ajoutant « je vois ça ici je fonce dessus avec mon tracteur !» Les Basques de l’intérieur ne sont pas (encore) très concernés par la question migratoire musulmane car ils ne la connaissent, pour ainsi dire, pas.

Accueillant mais…
Pourtant, le Basque est accueillant et pacifique. En Soule, en Basse-Navarre, des « sudistes », des Espagnols, des Italiens ont été accueillis jadis. De surcroît, malgré les 829 morts d’ETA (auxquels on peut ajouter les 5 victimes d’Ipparetarak),la société basque n’est pas une société violente contrairement à la société corse. Par contre, elle n’est pas une société ouverte sans condition. La première des conditions étant la langue. Et plus on s’enfonce dans le Pays basque, plus la condition devient sine qua non. La présence d’allogènes est donc éventuellement possible petit à petit et en quantité infime mais elle est soumise à la condition de non-communautarisation et d’absence de signes ostentatoires religieux ou culturels. Si un immigré français, espagnol, danois ou… algérien veut se faire accepter au Pays basque intérieur il devra devenir basque voire devenir plus basque que les basques eux-mêmes…

Saint-Etienne-de-Baigorry, l’exception qui confirme la règle
Mais, la question migratoire peut se poser de manière plus indirecte même au fin fond de la très rustique Soule. D’une part, les Basques ont la télévision, internet, font leurs études à Pau, Toulouse, Bordeaux ou Paris, voyagent (combien de Basques ont un parent aux Etats-Unis ou en Argentine voire ont la double nationalité) et suivent l’actualité. Or l’actualité est bien cruelle pour la « société ouverte » et « l’identité heureuse » auxquelles plus personne ne croit réellement. Les Basques constatent le changement profond de population ailleurs et peinent à l’imaginer chez eux.

La question des « réfugiés » a, de plus, bousculé cet isolement basque. A Saint-Etienne de Baigorry – fief nationaliste de gauche s’il en est- par exemple, des « réfugiés » ont été accueillis et, à lire les journaux, les autochtones pleuraient de tristesse à leur départ. La réalité est beaucoup plus nuancée. Si le séjour de certains s’est globalement bien déroulé, d’autres ne sont restés que quelques jours. D’une part, Saint-Etienne-de-Baigorry c’est le bout du monde pour des « migrants » dont le désir est de migrer vers d’autres cieux plus shakespeariens et d’autre part, leur attitude, notamment envers les femmes, aura fait naître quelques inimitiés.

Il y a quelques années, la tentative d’ouverture d’une crèche par une femme voilée dans la même commune avait également provoqué de sérieux grognements… et la fermeture de la crèche faute d’enfants. Le Basque est accueillant mais attention…

A Saint-Jean-Pied-de-Port, ville voisine, le maire aura été catégorique : pas de ça dans la commune ! Hendaye – sur la Côte – aura été plus « généreuse » en accueillant… deux familles dont un couple de personnes âgées. A Ustaritze, la question a été l’occasion d’un chaud débat, à Tardets également (pour deux familles),etc. Finalement, à part les villes côtières précitées, seules Saint-Etienne-de-Baigorry la navarraise et Tardets la souletine auront accueilli ou fait acte de candidature pour accueillir des « migrants ».

En fait, les autres communes, même celles où les nationalistes de gauche sont forts, font la sourde oreille et attendent que ça se passe. Notamment parce que le Front national est devenu le troisième parti du Pays Basque (16,10% aux dernières régionales, avec une hausse de plus de 10 points dans certains villages!).

Militants au double-discours
Or, même si l’intérieur résiste mieux à la poussée frontiste, les responsables politiques locaux savent pertinement que toute poussée migratoire dans les cantons montagnards aura des conséquences dans les urnes. Les abertzale de gauche, si bisounours sur la question migratoire à l’extérieur (notamment quand ils viennent en Bretagne),sont beaucoup moins motivés « au pays » tant ils connaissent l’avis de la population sur le sujet… et l’avis de certains de leurs militants ! Car les abertzale de gauche sont loin d’être unanimes sur la question. Autant le consensus face aux souffrances de populations martyrisées est partagé, autant « l’installation heureuse » d’immigrés au Pays Basque est plus contestée. Pour dire les choses plus clairement : l’immigré on l’aime bien surtout chez lui. Il peut éventuellement s’installer en Euskal Herria mais s’il devient basque.

Par contre, les djellabah, les femmes voilées, les kebabs et les barbes de prophète c’est non. Or, même au sein de la gauche abertzale, on a bien remarqué que certaines populations sont inassimilables et que la population du Pays basque nord est profondément heurtée par le déferlement migratoire qu’elle constate ailleurs. D’où l’émergence actuelle d’un « double-discours » : tiers-mondiste et bisounours à l’extérieur et dans les cercles militants bayonnais et beaucoup plus sceptique voire anti-immigrationniste « au village ».

Au sud comme au nord, soumis aux réalités du Grand remplacement, le monde abertzale a donc une mise à jour à faire concernant ses fondamentaux sociétaux, sous peine de se couper de sa population et de rater sa mutation post-ETA.

* De la doctrine araniste (imprégnée de carlisme) : Jaungoikoa Eta Lege zaharra (Dieu et la Vieille loi). Vieille loi=anciennes libertés coutumières, les « fueros » qui permettaient aux provinces basques du sud de vivre dans une quasi-indépendance de fait.

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

Related Articles