C’est sans doute une des plus belles surprises de la rentrée : le dernier livre de Sonia Mabrouk, Douce France, où est (passé) ton bon sens ? (Plon), réconcilierait le plus rétif des lecteurs de Boulevard Voltaire avec la profession de journaliste. C’est dire.
Avant de l’entamer, j’avais préparé comme d’habitude, mes Post-itTM… et les ai vite abandonnés : hérissé et multicolore, mon bouquin ressemblait à un sapin de Noël. C’est toutes les pages qu’il aurait fallu marquer et qu’il faudrait citer ici.
Sonia Mabrouk évoquant volontiers sa grand-mère tunisienne, je vais aussi convoquer la mienne, française, qui ne manquait pas non plus de bon sens, et qui aurait sans doute dit de la jeune journaliste d’Europe 1 et CNews qu’elle « n’était pas n’importe qui », litote d’autant plus flatteuse qu’appartenant à une génération qui n’avait pas le compliment facile, ma grand-mère ne la dégainait qu’avec parcimonie !
Il faut, en effet, ne pas être la Madame Tout-le-monde du PAF pour faire siens sans ciller des propos de Bossuet, Dostoïevski, ou encore Manent, Bock-Côté et Onfray.
Il faut sortir du lot pour pourfendre le politiquement correct, avec l’élégance sobre, efficace, courtoise et humble qui caractérise Sonia Mabrouk – et qui désarme, du reste, ses détracteurs -, pointant du doigt, par exemple, un certain journalisme, « reflet d’un conformisme, pour ne pas dire d’un panurgisme effrayant », mais se mettant aussi sec « évidemment dans le lot », s’accusant d’avoir « souvent cédé à des postures de facilité, à une bien-pensance tellement commode » : « Cessons donc de moraliser l’information », conclut-elle, « car, en le faisant, nous la déformons ». Que rajouter de plus ?
Il faut être honnête, en quête de vérité, préservée par un creuset culturel natal moins gangrené que le nôtre par la bien-pensance et la repentance (la «bien-pentance »), ou tout cela à la fois, pour réussir à tirer avec simplicité et sans dévier le fil du bon sens, celui qui fait l’éloge de la culture populaire – elle qui, dans un entretien accordé à Causeur, se déclare musulmane, cite l’ostension de la sainte Coiffe de Cahors que ne connaissent pas les trois quarts des catholiques… -, de l’enracinement, de la souveraineté, de l’identité, de la fierté et même de la nation « au sens où l’entendaient Bernanos, Fustel de Coulanges ou Maurice Barrès »…
Il faut être téméraire pour oser écrire noir sur blanc que, « pendant que les responsables politiques s’alarmaient de l’état des banlieues, tandis qu’ils craignaient par-dessus tout l’explosion des quartiers, ils ont laissé les campagnes se dévitaliser et se recroqueviller sur elles-mêmes ».
Il faut être libre pour dénoncer, des USA de Trump à l’Iran de Rohani, les dangers d’une politique internationale macérée dans la « moraline ».
Il faut ne pas avoir froid aux yeux pour pointer du doigt les dangers du militantisme vegan « porteur et vecteur d’une nouvelle utopie en tout point semblable à une idéologie totalitaire ».
Il faut être capable de voir plus loin que le bout de son nez, et bien au-delà encore, pour deviner que l’intelligence artificielle – on ne parle pas de « bon sens artificiel », note-t-elle finement – est un enjeu de civilisation, qui à ce titre ne doit pas faire l’économie d’une réflexion d’ordre spirituel.
Et puisqu’on en parle, il faut surtout avoir un singulier courage pour rappeler, à rebours du temps, l’importance du sacré (« Tant que subsistera une révérence pour le mystère de l’âme, tout ne sera pas complètement perdu »), pour marteler que « le salut de la civilisation occidentale passera […] par la renaissance de la chrétienté », pour affirmer qu’il « est grand temps de reconstruire une liturgie permettant de mieux mettre en avant cette foi chrétienne » et aussi « de désinhiber le christianisme » car « seule une chrétienté forte et assumée entraînera l’émergence, en Europe, d’un islam plus apaisé et moins conquérant. L’islam [n’étant] fort que de la faiblesse de la chrétienté. »
On peut ne pas partager tous les points de vue de Sonia Mabrouk, par exemple lorsqu’elle évoque – sans plus en dire, d’ailleurs – certains « aveuglements sur des enjeux sociétaux » des catholiques, mais on peut gager que de ces sujets-là comme des autres, elle est capable de débattre sans mépriser ni diaboliser.
« Quand les évêques ont des courages de femmes, il faut que les femmes aient des courages d’évêque », disait Jacqueline Pascal, sœur de Blaise. Dans l’église cathodique, comme l’appelle Gilles-William Goldnadel, Sonia Mabrouk en remontre en effet à bien des grands prêtres de la grand-messe médiatique.
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire