“QUELQUE CHOSE DE GRAVE VA SE PASSER”!

 

Discret mais coopératif. Voilà comment nous qualifierons cet ancien agent de la DGSE qui a accepté d’évoquer avec nous, sous anonymat, le travail au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure. Discret, car travailler dans ce service requiert un minimum de bon sens et un devoir de réserve qu’il est bien souvent difficile de franchir. Coopératif car, de l’action engagée lors d’une prise d’otage au démantèlement de cellules terroristes, en passant par les menaces d’attentat qui se multiplient, l’activité de la DGSE ne désemplit pas. Entretien.

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Qui sont les personnes qui interviennent lors d’une prise d’otage au sein de la DGSE ?

Ce sont surtout les agents du SERVICE ACTION qui vont essayer d’intervenir lorsqu’il y a une prise d’otages. Leur rôle est d’essayer de trouver le réseau des preneurs d’otages en utilisant des sources ou des correspondants, avec l’aide des spécialistes de la zone géographique de l’agence. Les agents entrent en contact avec une personne pour en trouver une autre. Par ce moyen, on remonte les filières et on essaye de communiquer avec les ravisseurs.

Comment se déroule le débriefing lorsque l’otage est de retour en France ?

Quand il y a eu une libération, qu’elle soit négociée ou pas, il y a toujours un débriefing qui est fait par les agents qui ont travaillé sur le dossier. L’otage est souvent accompagné par une personne pour aller dans un endroit tranquille. Là, les agents peuvent parler avec lui de telle manière à avoir un maximum d’informations sur ce qui s’est passé.

On essaye de comprendre comment chaque prise d’otages se déroule, dans quelles conditions ils sont maintenus et enfermés, quelles sont les maltraitances qu’ils ont subi etc. Ce sont des informations qui nous permettront par la suite de situer les lieux et de mettre des noms sur les preneurs d’otages.

Et après, que se passe-t-il pour l’otage ?

Après le débriefing, l’État met en place une cellule auprès de la personne, pour qu’elle puisse être suivie psychologiquement. Parfois ça se passe bien, parfois ça se passe mal. Chaque traumatisme est tellement personnel, comme un chagrin d’amour, que chacun réagit en fonction de ce qu’il a au fond de lui-même et de ce qu’il a vécu. Il n’y a aucune règle, certains vont bien le supporter, alors que d’autres ne s’en remettront jamais.

Certaines personnes ont besoin d’écrire et de se servir des livres comme exutoire. D’autres en restent là car ils n’ont pas envie de remettre cela sur le tapis. Comment expliquez-vous cette différence de réactions ?

Seuls ceux qui ont connu des zones de guerre peuvent comprendre la dimension dans laquelle entrent les otages. On est dans l’irrationnel, c’est là où les choses peuvent basculer la vision de camarades tués, ou le simulacre d’exécution encore que l’on voit des cadavres mutilés.

On n’est plus dans notre monde. On ne connaît pas les codes parce que tout peut se passer à tout moment. L’irrationnel c’est un monde dans un monde. Les otages ressentent les mêmes sensations que les militaires. C’est quelque chose où chaque jour, on se pose la question « est-ce que je vais mourir ? ». On joue sa survie.

NOUVEAUX GROUPUSCULES, NOUVELLES MÉTHODES

Qu’est-ce qui a généré ce passage d’ « otages-argent » à « otages-communication » selon vous ?

Avant, comme pour les otages français au Liban, l’otage était un moyen pour négocier, avoir de l’argent et aussi faire de la communication, échanger des prisonniers. Car les ravisseurs ont besoin de communiquer pour exister. Maintenant, les images d’horreurs, elles-mêmes, font davantage de communication parce qu’elles choquent la communauté internationale. En plus, ces terroristes font traîner l’otage, comme Denis Allex qui est resté plus de trois ans ou d’autres personnes dans le Sahel. De cette manière, leur visibilité est plus importante mais la vie des otages, elle, est incertaine.

Quelles sont les pires conditions que peuvent subir les otages et surtout par quel groupuscule ?

Ce sont surtout les groupuscules islamistes les plus dangereux. Dans le sens où ils n’hésitent pas à tuer, à torturer et à maltraiter. Le prisonnier est traité comme un animal, il est un mécréant. Par rapport à l’interprétation du Coran que font les preneurs d’otages, nous, Occidentaux, nous devons être tués parce qu’on représente le Mal.

Mais n’y a-t-il pas une hiérarchie entre ces groupes ?

Tout dépend des chefs tribaux ou des organisations qui les ont récupérés. Si vous êtes dans les mains de Daesh, des Shebab ou des Boko Haram, vous avez peu de chance de vous en tirer. Après si dans la négociation, vous arrivez à proposer un échange de prisonnier ou une grosse somme d’argent, parce qu’avant tout ils sont assez mercantiles, surtout Boko Haram, peut-être qu’ils vous diront « on va vous le lâcher si vous nous donnez X millions d’euros pour une personne ».

D’autres otages s’en tirent parce qu’ils étaient retenus par des Touaregs, avec qui on a des contacts. La France a une grande histoire avec eux. Un certain respect existe même si les Touaregs sont entrés en guerre au Mali.

TECHNIQUES DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

Comment expliquer que des attentats soient déjoués par la DGSI et la DGSE ?

Parce que nous utilisons des moyens techniques. Nous avons une base de données renfermant déjà beaucoup d’éléments sur certaines personnes. Une grande coopération avec les services étrangers amis Pour travailler (surveiller) sur une personne et mener des opérations, il faut 10 à 15 agents de terrain. Mais le risque zéro n’existe pas et nous aurons d’autres attentats, la menace est grande, surtout en France.

Nous avons un avantage : des suspects qui ne sont pas partis en Syrie mais qui sont intéressés par les réseaux terroristes, communiquent beaucoup sur ce qu’ils veulent faire et quand le faire. C’est une façon d’exister pour eux. Mais le jour où les gens vont revenir formés et monteront des réseaux que nous ne pourrons pas suivre, ça va être compliqué. Et nous avons à 2 000 km de la France, en Libye, la naissance d’un nouvel Etat islamique.

Comment peut-on expliquer, a contrario, que des individus, aux parcours très surveillés, puissent passer si facilement dans les mailles du filet et compromettre ainsi la sécurité du territoire ? Nous faisons évidemment référence ici à ce qu’il s’est passé dans le Thalyss, le 21 aôut dernier.

Les fiches de renseignement sont un signalement d’un individu ayant des appartenances ou des contacts avec le milieu djihadiste. Mais il n’ont fait aucun délit. Elles ne permettent pas une arrestation, juste une indication. Et un signalement lors de contrôle. Nous avons environ en France 6000 fiches de renseignements, c’est donc impossible de surveiller tout le monde, il n’y a tout simplement pas assez de moyen. Nous avons la possibilité technique de mettre sur écoute les 6000 personnes, mais pas les moyens financiers. La justice n’est pas adaptée à cette nouvelle menace. C’est une menace venant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur.

De plus les droits de “l’hommisme” défendus par une forme de bien pensance -associations et certains politiques démagogues- rendent très difficile la mise en place d’un système de surveillance simple et moins coûteux. Le contrôle aléatoire dans les zones de transports (gare, gare maritime etc) est compliqué et n’empêchera pas les attentats. Nous pouvons les limiter, ce qui permet déjà de sauver des vies. Nous aurons, je le crains, notre 11 septembre, c’est une question de temps. La loi sur le renseignement permet, sans doute, une plus grande coopération avec la justice et l’instruction des dossiers avancera plus facilement qu’avant. Car cette fois, les méthodes rentrent dans un cadre dit “légal”. Nous sommes dans une guerre silencieuse et sournoise qui ne dit pas son nom. Elle sera dans la durée.

LA RÉCUPÉRATION POLITIQUE FACE AU TERRORISME

L’État exerce-t-il une pression sur la DGSE afin de redorer l’image de la France et de montrer que les citoyens sont en sécurité ?

L’Etat peut le faire, mais nous vivons dans un système de communication. Regardez l’un des derniers évènements, où trois individus ont été arrêtés pour avoir tenté de réaliser un acte terroriste [projet d’attentat au Fort-Béar déjoué le 13 juillet 2015, ndlr]. Alors que ces personnes sont placées en garde à vue et n’ont pas encore été présentées à leurs avocats, vous voyez le président de la République, François Hollande, faire une déclaration sur les supposés terroristes, en direct à la télévision.

C’est de la communication de bas étage parce qu’on ne sait pas grand-chose à ce moment-là sur cette affaire. Le ministre de l’Intérieur a ramé derrière pour expliquer ce qu’il savait. Nous sommes dans un système où les politiques sont des acteurs qui ont besoin d’une communication pour pouvoir exister. Une communication qui tue le travail de sape des services comme celui de la DGSE.

Le discours anti-terroriste ne devient-il pas a fortiori la caisse de résonnance des ravisseurs ?

À partir du moment où une personne est prise en otage, cela fait de la communication pour les ravisseurs. Plus on parle de notre ennemi, plus on le valorise. Ce qui pose problème c’est surtout l’ampleur de la menace d’un islam radical. Si nous n’en parlons pas, nous ne pouvons pas comprendre que nous sommes en guerre et que c’est une menace ici, en France.

Après il ne faut pas faire d’amalgames. Je suis le premier à dire que la majorité des musulmans ne sont évidemment pas des terroristes. Mais la plupart des terroristes se revendiquent d’un Islam bien particulier, loin du vrai Islam. Nous avons dans notre population en France, des sympathisants, des personnes en perte d’identité et qui n’ont pas de repères. Elles sont issues de l’immigration et sont dans des banlieues défavorisées. Elles ont mal vécu cette situation. Elles sont soit devenues des délinquants, soit, elles ont fait des études mais n’ont pas pu avoir accès à des emplois qui leur auraient permis de s’intégrer dans la société.

Ce type de personnes est fragile. Et lorsqu’un gourou leur dit « avec moi, tu vas exister » alors que ces personnes n’existent nulle part, ni dans le pays d’origine de leur parent, ni dans leur pays qu’est la France ; je peux comprendre que certaines basculent, sans cautionner ce qu’elles font évidemment.

C’est donc un problème politique avant tout ?

Exactement, c’est un problème politique français qui dépasse largement l’Islam. La gauche comme la droite n’ont jamais été capables d’intégrer ces gens. À partir de ce moment-là, nous avons créé un système de « ghettoïsation » avec les banlieues. Ce qui fait que maintenant, on a ce qu’on a créé. C’est notre faute. Eux, je ne dirais pas qu’ils n’y sont pour rien. Ils ont subi, maintenant on va subir.

« On a transformé un monde qui n’était pas forcément bien en un monde bien pire. »

Quelles sont les solutions pour pallier ce problème ?

Les solutions pour moi, sont minces. Quelque chose de grave va se passer, de plus grave que ce qui s’est passé en janvier 2015, pour qu’il y ait vraiment une prise de conscience de la situation dans laquelle on est. Quand quelque chose de grave survient, le peuple se rassemble. Il faut justement que nous mettions des mots et que nous apaisions le débat là-dessus. Si nous n’osons pas admettre que nous avons un problème avec une frange de la population musulmane qui se revendique d’un islam qui est pour moi, parallèle ou sectaire, alors nous ne situons pas les choses clairement et nous ne nous comprenons pas. Quelque part, il suffit de dire les choses telles qu’elles sont, sans stigmatiser les banlieues, une partie de la population ou une religion. Cela sera difficile mais essentiel.

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