Des individus et des groupes utilisent le terrorisme qui est l’une des modalités de la violence. Ils le font au nom de l’Islam. Ils donnent ainsi « raison » à ceux qui, en Occident, affirment : « L’Islam, les musulmans nous font la guerre ». Certains ajoutent : « Une guerre de religion contre l’Occident judéo chrétien ». C’est le terrain sur lequel se situent Al-Qaïda et Daech qui prétendent que le « Monde musulman » est agressé par les « Croisés et les Juifs ». On applique le même raisonnement à se qui se passe au Proche-Orient : ce serait une guerre de religion qui opposerait les sunnites aux chiites.
Ces approches sont, sinon erronées, du moins réductrices.
Elles sont aussi dangereuses car chaque acteur de cette tragédie est convaincu qu’il se trouve en état de légitime défense.
Il est donc plus que jamais urgent de passer de la perception à l’analyse.
Le « Monde musulman » n’existe pas. Les « penseurs » du courant néo-conservateur américain se sont fourvoyés lorsqu’ils ont convaincu Georges W.Bush que, de la Mauritanie au Pakistan-Afghanistan, c’était le « Grand Moyen-Orient », zone monolithique. La réalité est que le « Monde musulman » est caractérisé par la fragmentation, des querelles inexpugnables, des rivalités, l’impuissance et, à des degrés divers, l’échec dans au moins trois domaines vitaux de la phase de transition :
– L’incapacité de ces pays à s’adapter à l’économie de marché mondialisé ;
– Au plan politique, l’incompétence et la corruption ainsi que l’absence d’une culture démocratique ;
– Une crise profonde de l’identité qui se traduit par des troubles du comportement.
La seconde observation nous amène à prendre conscience que les musulmans sont les premières cibles des « islamistes ». De l’Atlantique au Golfe arabo-persique, c’est par dizaines de milliers que se comptent les victimes de l’extrémisme se réclamant de l’Islam. Durant la décennie 90, en Algérie, pays exclusivement musulman sunnite, le terrorisme a fait entre 100 000 et 200 000 morts….
Le troisième constat est que les régimes en place dans ces pays, sont proches de l’Occident, certains étant ses alliés, engagés dans des coalitions internationales, en guerre contre Al-Qaïda et Daech, que ce soit au Sahel ou au Proche-Orient. La plupart des pays arabes du Sud de la Méditerranée participent au Dialogue Méditerranéen de l’OTAN depuis 1994. Quant à ceux du Golfe toujours dans un format voulu par l’OTAN, ils ont adhéré à l’Initiative de la Conférence d’Istanbul en 2004. En Méditerranée occidentale, une coopération s’est développée, notamment dans le domaine militaire, dans le cadre du 5+5… Les services de renseignement de l’ensemble de ces pays coopèrent avec leurs homologues occidentaux dans la lutte anti-terroristes…
Le quatrième constat est que les « islamistes » veulent mettre en œuvre un projet politique totalitaire résolument contraire aux intérêts des peuples musulmans. Les habitants des régions où ils ont pu installer leur pouvoir, rapportent des témoignages édifiants sur l’ « ordre islamique ». Certains en arrivent à regretter les régimes dictatoriaux de Saddam Hussein et de Kadhafi…
La seule guerre que les musulmans sont en mesure de mener efficacement c’est celle qui les oppose les uns aux autres.
Plusieurs causes interviennent de façon concomitante : l’échec de la phase de transition et de toutes les stratégies de développement, que ces pays produisent du pétrole et du gaz ou non. Les Émirats confondent richesse et développement et les autres stagnent ou régressent.
Deux autres causes interviennent et nous aident à comprendre les tragédies qui ravagent cette zone :
– l’Islam ne joue plus son rôle qui consiste à relier les humains les uns aux autres et, grâce à une morale, une éthique, à donner des raisons de vivre en paix ensemble. De cet islam qui avait entre autres finalités d’améliorer la qualité de ses adeptes dans tous les domaines, il ne reste pas grand chose sinon des êtres respectant, par conformisme, un rituel dont ils ignorent la symbolique. L’un des symptômes de cet islam mal compris est que, paradoxalement, les mosquées n’ont jamais été aussi pleines et il n’y a jamais eu aussi peu de musulmans. Contrairement aux apparences, l’excès de religion, l’islam ostentatoire, ne sont pas la manifestation d’une foi sincère et profonde, mais l’un des indicateurs de l’affaiblissement de cette religion.
– En même temps, le postulat selon lequel ces pays et ces peuples étaient des « États-nations » a volé en éclat. L’État-nation est une greffe occidentale qui n’a pas réussi dans ces pays. A l’heure où les contradictions s’exacerbent, les systèmes d’identification, les sentiments d’appartenance renvoient aux tribus, aux ethnies, aux clans, aux régions, aux confréries. C’est une déviance qui aggrave la fragmentation du « Monde musulman ».
Pour toutes ces raisons, nous assisterons à une multiplication des guerres civiles. Cela devrait conduire les Occidentaux à s’interroger sur l’opportunité et la pertinence de leurs interventions militaires dans ces régions…
Quant à la juste évaluation de la menace que constituent Daech et Al-Qaïda pour le Monde occidental, il est impératif de rester rationnel. Ces terroristes ne sont forts que des faiblesses de l’Occident. Celui-ci doute de lui-même au point que l’on peut se demander s’il n’est pas confronté à une crise de civilisation. Cet affaiblissement est dû à des causes endogènes dans lesquelles l’Islam n’entre pour aucune part. Citons, sans être exhaustif : le recul de la croyance religieuse et du système de valeur moral dont la religion chrétienne était porteuse ; la crise de l’autorité, celle de l’État, de l’Ecole, de la Justice ; l ‘aplatissement des aptitudes, des compétences et des mérites au nom d’une conception totalitaire de l’égalité ; le scepticisme à l’égard de la démocratie représentative ; l’effacement de la différence entre les générations, le « mariage pour tous », le « pourquoi pas » à propos de tout et qui, en faisant reculer les limites, finit par les abolir etc.
Dans ce contexte, des jeunes – qui ne sont pas nés dans les zones tribales du Pakistan – fragiles psychiquement, à la recherche d’une affiliation, d’un sens à donner à leur existence, d’aucuns probablement dans cette pathologie que l’on désigne comme « haine de soi », projettent cette haine sur autrui et se suicident en entraînant avec eux dans la mort le maximum de personnes innocentes.
Qu’il s’agisse de ceux qui opèrent en Occident ou de leurs semblables en Syrie, en Irak et ailleurs, ils constituent une infime minorité composée d’individus insignifiants mais dont la capacité de nuisance est d’autant plus redoutable qu’ils sont à la recherche d’une fausse gloire au prix de leur vie et de celle des autres.
En les médiatisant à outrance, on les renforce dans leur démarche criminelle. Il convient donc de les combattre pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils représentent dans les rapports de force.
La stricte application des lois existantes, le Renseignement, la collaboration entre les services compétents au plan national et international ainsi que, en amont, un système de détection et d’alerte, contribueraient à réduire la menace.
Enfin, se contenter d’affirmer, comme le font la plupart des commentateurs : « Nous sommes attaqués pour ce que nous sommes et non pour ce que nous faisons » est une manière de refuser l’autocritique concernant l’engagement militaire occidental en « terre d’Islam », politique à propos de laquelle il est impératif et urgent de mener une réflexion et un débat le plus large possible….
Mustapha BENCHENANE
Docteur d’État en Science Politique
Conférencier au Collège de Défense de l’OTAN