Jean-François Sirinelli conduit une plongée rétrospective passionnante autour d’une génération qui, gains d’espérance de vie aidant, n’a pas dit son dernier mot. C’est un lieu commun de le dire : la génération des baby-boomers a marqué son époque tant par son nombre que par ses valeurs. Dans un livre empli d’une vision rétrospective saisissante, l’historien Jean-François Sirinelli affine le propos : ces 800 000 “beaux bébés” nés chaque année entre 1945 et 1955 ont davantage accompagné la grande mutation de l’après-guerre – ce qu’il appelle la “mutacrise” du passage d’une société rurale à une société industrielle puis globalisée – qu’ils n’en n’ont été les instigateurs.
“Globalement ces mutants ne furent pas des mutins. La charge contestataire, et a fortiori révolutionnaire ne concerna que quelques-uns d’entre eux”, relativise l’auteur. A son acmé, la contestation de 68 fut sous tendue par l’optimisme latent des “4 P” des Trente glorieuses : progrès, prospérité, plein emploi et paix. Devenus adultes au tournant des années 70 /80, les baby-boomers se retrouvent en position pour le moins inconfortable en devant prendre en charge une France en crise. Jean François Sirinelli évoque ici le choc en retour des illusions perdues en quelques années dont l’évanouissement de l’espérance révolutionnaire, tombée dans un “trou de mémoire”, est le plus marquant. Aux “4 P” de leur jeunesse succèdent les “2 P” d’une époque post – industrielle et planétaire devenue incertaine.
“L’entrée du monde en mondialisation en fait la première génération adulte à vivre ainsi dans la pleine réverbération du monde” souligne l’auteur. Une réverbération qui se joue dans un premier temps sur le terrain culturel – et de ses émotions envahissantes – avant de se déployer par la suite sur le terrain économique. Or pour Jean-François Sirinelli, “les baby-boomers ne détiennent plus les clés de ce monde nouveau, les grilles d’intelligibilité de leur jeunesse ayant brutalement vieilli”. Un jugement peut être ici à nuancer tant certains hérauts de 68 auront démontré leur plasticité pour s’adapter aux nouvelles règles néo-libérales.
L’histoire n’est pas finie : bénéficiant comme un cadeau de l’allongement de l’espérance de vie et subséquemment de l’entrée de plus en plus tardive dans le troisième âge, les baby-boomers transformés en papy boomers – dont l’éternel Johnny Halliday émargeant chez un célèbre opticien est la figure de proue – n’ont pas dit leur dernier mot.
Génération sans pareille – Les baby-boomers de 1945 à nos jours par Jean-François Sirinelli (ed Tallandier)