Dans les milieux bien-pensants, Internet serait devenu une véritable poubelle de l’information, le lieu de rencontre des réacs, des fachos et des adeptes de la théorie du complot. Si l’information sur la Toile mérite une quelconque attention, ce serait uniquement à travers des blogs « autorisés ». Il n’empêche que, sans Internet, j’aurais continué de croire (par exemple) que la Banque fédérale américaine était un établissement public tout comme la Banque de France ou la Banque d’Angleterre, ce qui est, avouez-le, assez cocasse pour un ancien banquier. Plus drôle encore : lorsque j’affirme aujourd’hui devant les gens de la profession, des anciens parfois haut placés, que la Fed est une banque privée avec des actionnaires privés et que cela pose un problème de déontologie majeur (cf. 2008), le plus souvent ils ne veulent rien savoir ou, dans le meilleur des cas, me renvoient au site Web de la banque intéressée, qui affirme dans son préambule : « Le système de Réserve fédérale fonctionne comme une entité indépendante au sein du gouvernement […] elle remplit sa mission de service public […] elle n’est pas une institution à but lucratif. »
Vraiment ?
Eh bien c’est encore sur Internet que j’ai appris, il y a quelques jours, que la Fed payait chaque année à ses actionnaires – environ deux mille banques commerciales américaines – un dividende fixe de 6 %, soit bon an mal an une grosse douzaine de milliards de dollars, un dispositif qui dure depuis 99 ans ! Pour le lecteur qui ne saisirait pas tout à fait l’énormité de la chose, je rappelle que la Fed détermine la politique monétaire des États-Unis. Or, si le délit d’initié signifie quelque chose, il va de soi qu’elle en est la première cible, ce qui théoriquement devrait l’interdire de réaliser, ou du moins distribuer, le moindre profit. Je rappelle aussi que la Fed s’était portée au secours du système bancaire en acquérant sur le marché des tombereaux d’obligations. Que les taux remontent et ses pertes seraient immenses. Privatisation des profits, mutualisation des pertes, peut-on rêver un plus bel exemple ? Un groupe de parlementaires américains s’est finalement ému de cette situation scandaleuse à bien des égards, et a décidé d’obtenir l’abrogation de ce système. Le Sénat a fait une contre-offre : le dividende serait ramené à 1.5 % ; grosse bagarre de lobbyistes en perspective.
Pour le lecteur de Boulevard Voltaire, cet exemple illustre à merveille l’irremplaçable richesse de l’Internet. Je ne nie pas que ce media véhicule parfois les pires des horreurs au milieu d’une masse de sottises, mais il est aussi le seul à nous révéler l’information que ceux qui détiennent le pouvoir souhaitent maintenir cachée.
Dans les années 70, les journalistes André Harris et Alain de Sedouy – déjà co-auteurs du Chagrin et la Pitié – avaient produit un documentaire remarquable sur l’Histoire de France de 1920 à 1972. Ils l’avaient intitulé Français, si vous saviez ! Eh bien, je gage que si les Français doivent savoir un jour, ils le devront à Internet.