Le secret professionnel des avocats est décédé. Alors qu’il était depuis un moment déjà dans le coma, le Conseil Constitutionnel vient de le débrancher.
Qu’est-ce que le secret professionnel de l’avocat ? Pourquoi est-ce que les principes judiciaires exigent depuis fort longtemps que ce qui relève de la communication entre un avocat et son client soit frappé d’un secret absolu ? Rappelons que l’État moderne s’arroge le pouvoir d’exercer la violence légitime. Prérogative qui porte atteinte à la liberté et à l’intégrité de l’individu. L’acceptabilité sociale de la décision prise impose que le mis en cause soit assisté par quelqu’un qui l’aidera à rétablir un peu l’équilibre entre le Léviathan et le citoyen seul.
En France, depuis la Révolution, on n’aime pas beaucoup les avocats. Sans forcément aller aussi loin que Couthon qui disait : « Un avocat ? Les coupables n’y ont pas droit, les innocents n’en ont pas besoin ». Dans un pays de tradition étatique forte, on préfère souvent l’Ordre à la Justice. Un coupable en liberté c’est une injustice, un innocent en prison un désordre. Ce devrait être le contraire. Nous n’avons pas la pire justice du monde, loin de là, mais les avocats y sont souvent perçus comme des complices.
Pourquoi un secret professionnel ? Il répond à deux objectifs. Tout d’abord, il s’impose à l’avocat dont personne, pas même le client, ne peut le relever. Cela va asseoir la confiance de celui qui s’en remet à lui pour le défendre. Il aura la certitude que rien de ce qu’il dira à son conseil ne pourra se retourner contre lui, et cette confiance est indispensable à la mission de défense. Ensuite, le secret s’impose également aux autorités de poursuite et aux juges. L’établissement de la « vérité judiciaire » doit se faire loyalement. Sinon l’exercice de la violence légitime devient illégitime.
En système anglo-saxon, il est absolu et protégé depuis longtemps comme relevant de l’ordre public. En Angleterre, cette protection est reconnue depuis le XVIe siècle. Il a été confirmé encore récemment par une décision de la chambre des Lords de 1995 affirmant « qu’aucune exception ne peut s’opposer au caractère absolu du privilège ». À l’objection, bien française, selon laquelle le secret ne devrait pas permettre aux avocats de commettre des infractions, le droit anglais répond : « L’intérêt général commande que ce secret soit absolu. S’il faut réprimer d’éventuelles infractions commises par les avocats, il faudra utiliser d’autres moyens de preuve que ceux que fourniraient la violation du secret. »
En France le secret professionnel des avocats a fait depuis une vingtaine d’années l’objet d’une déconstruction méthodique. On a commencé en inversant l’application du principe. La loi Perben II nous dit en 2004 que : « Le Procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut requérir de toute personne, (…) susceptible de détenir des documents intéressant l’enquête, (…) de lui remettre ces documents, sans que puisse être opposée, sans motif légitime, l’obligation du secret professionnel. » Secret professionnel oui, mais à condition d’avoir un motif légitime établi. De règle, le secret devient l’exception.
La pratique de l’instruction à la française, et la Cour de Cassation ont poursuivi ce travail.
La pratique tout d’abord, qui a vu se multiplier les perquisitions dans les cabinets d’avocats, les saisies d’ordinateurs et autres écoutes téléphoniques, créant une insécurité totale dans la relation avocats-clients. Jusqu’au juge d’instruction de l’affaire Bettencourt à Bordeaux, qui avant de mettre l’ancien Président de la République en examen avait fait convoquer par la police (!) sur commission rogatoire l’avocat de celui-ci. En lui demandant de bien vouloir apporter son agenda pour le verser au dossier ! Cela n’a pas eu l’air d’émouvoir grand monde. La pratique des écoutes téléphoniques qui, par le jeu des transcriptions, donnent une information tronquée et coupée de son contexte, la Justice en a fait une nouvelle reine des preuves. Mettre un avocat sur écoute, c’est délicat, alors ce sera le client. On transcrit les conversations avec son conseil, puis enquêteurs et juges d’instruction prennent connaissance du contenu. Et décident ensuite ce qui relève du secret et ne doit pas être versé au dossier! Ouf, la morale est sauve, les transcriptions des conversations confidentielles ne seront pas dans le dossier. Mais tout le monde les a lues…
La Cour de Cassation n’y a vu aucun problème. Et a trouvé une autre astuce pour affaiblir encore ce maudit secret. Par un arrêt du 31 janvier 2012, elle a validé le versement au dossier de l’affaire Bettencourt de la transcription (effectuée par le parquet !) des enregistrements clandestins et strictement illégaux du majordome. Et notamment d’une conversation entre Madame Bettencourt et son avocat. La Cour nous indiquant benoîtement que ces transcriptions ne sont pas en elle-même « des actes ou des pièces de l’information, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d’être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement ». Donc, si l’on fait un enregistrement pirate ou un cambriolage pour voler les lettres échangées par l’avocat et son client, et que l’on envoie le tout à la police ou au juge, c’est bon. Dites, amis journalistes, votre secret des sources on le dirait un peu mal barré, non ?
Plus récemment encore, il y a eu l’arrêt rendu par la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire concernant la surveillance téléphonique dont a été l’objet Thierry Herzog, puisque la Cour a considéré que le secret professionnel était réservé exclusivement à la relation unissant un avocat et un client mis en examen. Joli, non ? Il suffit d’attendre un peu, de ne pas mettre en examen et hop, on a accès à tout.
Les avocats pénalistes français, qui essaient de s’adapter tant bien que mal à cette disparition, sourient quand on leur parle de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et du droit à un procès équitable.
Alors, pourquoi ai-je accusé le Conseil Constitutionnel d’avoir fermé le cercueil ? Parce que le parlement à majorité socialiste a voté la « Loi sur le renseignement ». Cette loi de surveillance de masse a suscité – y compris bien au-delà de nos frontières – critiques et inquiétudes. Et elles n’ont guère été apaisées par Bruno Leroux nous disant que si le texte était attentatoire aux libertés, ce n’était pas grave puisqu’il suffisait de voter pour les socialistes qui en feraient une application bienveillante !
Ce texte prévoit la conservation et l’utilisation par l’administration de « métadonnées » relatives à toute l’activité de tous les citoyens sur le Net. Le débat a porté sur le fait de savoir jusqu’où l’Etat pouvait aller dans la collecte et l’utilisation de ces données, qui ne disent rien du contenu-même des communications mais renseignent complètement sur leur contexte : qui appelle qui, à quelle heure, où, qui envoie des e-mails à qui, de quelle taille, avec des pièces jointes ou non, chiffrés ou non. Devant le Conseil Constitutionnel, le gouvernement a soutenu que l’avocat n’avait pas droit au secret des correspondances avec ses clients, en dehors du contenu même des correspondances. L’exécutif peut connaître l’identité des clients, la fréquence, l’heure ou le lieu des communications. Merci Monsieur Hollande, message reçu. Car c’est le Président de la République, adepte des petites ruses ayant bien évidemment pris ses précautions à l’avance, qui a saisi le Conseil. Celui-ci ne l’a pas déçu en affirmant, et c’est le pire, que le secret professionnel des avocats ne faisait pas partie des libertés protégées par la Constitution, et relevait par conséquent du domaine de la loi (et de la jurisprudence bien sûr…). Mort et enterré.
Ce qui m’attriste le plus, c’est le constat de l’effondrement de la culture des libertés publiques chez les socialistes, alors que je l’y ai connue si vivace. Les grands anciens, mes maîtres, ne rigolaient pas avec la défense des libertés. Ceux d’entre eux qui sont encore là se sont retrouvés du bon côté dans les combats récents. Mais les autres, tous les autres, n’ont pas hésité à soutenir l’insoutenable et à tout justifier. De la destruction du secret professionnel des avocats à l’adoption de cette loi liberticide en passant par l’approbation du scandale de l’affaire du singe en Guyane ou de celui du « mur des cons ».
Même la défense des libertés, ils l’auront balancée par-dessus bord.