La gare Lisch accueillait les visiteurs au pied de la tour Eiffel avant d’être délaissée en banlieue. Des riverains veulent la sauver.
A l’heure où Paris et sa région envisagent d’accueillir l’Exposition universelle de 2025, la renaissance de la gare Lisch, qui accueillait les visiteurs de celles de 1878 et 1889, serait un beau symbole. Autrefois installée sur le Champ-de-Mars, au pied de la tour Eiffel, la voici aujourd’hui laissée à l’abandon dans une impasse d’Asnières (Hauts-de-Seine). “Pourquoi ne pas mettre à l’honneur en 2025 le patrimoine des précédentes éditions? D’un côté, il y aurait un pavillon imaginé par Jean Nouvel, symbole d’innovation, de l’autre, la gare Lisch, réhabilitée”, s’enthousiasme l’architecte Michel Cantal-Dupart, l’un des défenseurs historiques du bâtiment, propriété de Réseau ferré de France (RFF).
“Lieu hanté par le passé, avec sa structure métallique intacte et ses céramiques anticipant l’Art nouveau”, selon l’architecte, la gare Lisch a cependant subi les outrages du temps. En témoignent ses verrières détruites, son toit prenant l’eau et ses entrées murées depuis un incendie en 2012. De quoi rendre toute réhabilitation utopique? Certainement pas aux yeux d’une association de riverains mobilisée depuis deux ans sur les réseaux sociaux. “L’idée, ce n’est pas de demander une reconstruction à l’identique, mais de conserver l’écrin et le transformer en cité du voyage” argumente Nicolas Sirot, l’un des instigateurs de Gare Lisch-opération Renaissance. Qui imagine déjà les 1.000 m² de surface accueillant expositions, ateliers scolaires, conférences, mais aussi vie associative, étals de produits bio ou encore un bar. “Notre projet s’inspire du Comptoir général ou du Hasard ludique, de ces friches industrielles ou gares de la petite couronne réinvesties en lieux culturels et solidaires ces dernières années.”
Elle quitte le Champ-de-Mars en 1897
Une belle manière d’offrir une nouvelle jeunesse à un lieu qui a déjà connu plusieurs vies. Dessinée par Juste Lisch, l’architecte de la gare Saint-Lazare, elle quitte le Champ-de-Mars et le cœur de Paris en 1897, direction Asnières-sur-Seine. Gare de banlieue entre 1924 et 1936, son destin déraille une nouvelle fois avec l’érection à une centaine de mètres de la station de Bois-Colombes. Entrepôt ou local syndical, elle sombre dans l’oubli jusque dans les années 1980. Un permis de démolition est signé ; le bâtiment ne doit alors son salut qu’au combat de l’historien Pierre Tullin, qui obtient son inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1985. “Dans la foulée, son déplacement à Saint-Denis, afin d’accueillir l’École nationale du cirque d’Annie Fratellini, a failli aboutir. C’était sans compter sur la candidature au dernier moment de La Villette…”, se remémore Michel Cantal-Dupart. Seconde hypothèse étudiée, son départ pour Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) comme gymnase, avortée également.
La gare replonge alors dans l’anonymat trente ans durant jusqu’à l'”opération Renaissance”. Apéritifs associatifs, visites improvisées durant les week-ends du Patrimoine, appel aux projets auprès de l’école d’architecture de Belleville, tout est fait pour réveiller les bonnes volontés. Sur Facebook, une page de soutien réunit près de 11.000 fans. Et en septembre, l’association a récolté plus de 2.000 € via une plate-forme de crowdfunding pour une série de 200 portraits voués à être affichés d’ici à la fin de l’année autour du site, sous le parrainage du projet Inside Out du désormais célèbre photographe JR.
Onze mille fans sur Facebook et différents projets
L’association a d’ores et déjà relevé le pari de la visibilité. Pour preuve, les projets de réhabilitation se bousculent. “J’en compte deux autres, à commencer par ceux d’un déplacement dans le parc de Robinson, avec la création d’une coulée verte ralliant le château à la gare, ou dans le parc des Chanteraines (Villeneuve-la-Garenne)”, détaille le maire d’Asnières (UMP), Manuel Aeschlimann. Mais c’est une troisième piste qui semble recevoir ses faveurs : la Société du Grand Paris propose un transfert sur le site de la future gare des Grésillons, à Gennevilliers. “C’est à la fois la solution qui respecte l’histoire, l’ADN du bâtiment, la plus rapide à mettre en œuvre, et la plus évidente financièrement.” Elle ouvrirait la voie à un cofinancement entre acteurs publics et privés à cette restauration coûteuse, estimée entre 5 et 6 millions d’euros.
Reste enfin un dernier projet, celui prêté au propriétaire du site, RFF, de rapatrier l’ancienne gare à Paris pour la convertir en musée des cheminots. Une hypothèse non confirmée par l’entreprise publique qui évoque seulement “travailler à une réhabilitation, sans échéance”. Seule certitude : sa réticence à la conserver sur son emplacement actuel. “C’est un terrain très précieux, qui nous sert de base arrière pour travailler à la désaturation du transport Transilien dans une zone particulièrement tendue”, explique-t-on du côté de RFF.
Du côté de l’association Opération Renaissance, toute itinérance est en revanche perçue comme une hérésie. “La banlieue manque cruellement de lieux de rencontre et on voudrait nous l’enlever au moment où les riverains prouvent leur attachement et proposent de se l’approprier. Ce serait absurde”, s’emporte Nicolas Sirot. Qui craint désormais de voir le projet qu’il défend rester… à quai.