La Chapelle, un quartier populaire transformé en ghetto!

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Dans son ouvrage Les Parisiens dont l’idée lui avait été soufflée par Roger Nimier à la fin des années 60, Gabriel Chevalier brossait le portrait du peuple de Paris, de ces « provinciaux qui l’ont bâtie de leurs deniers et de leurs mains » et de ces « Parisiens de hasard ou de nécessité, qui souvent seraient incapables de faire leur nid ailleurs ». Rien ne lui avait échappé, et surtout pas ces quartiers qu’il appelait des « pays » et qui, tel le quartier populaire et « franchouillard », jusqu’à ces cinquante dernières années, de La Chapelle, sont devenus maintenant de véritables ghettos. On en veut pour preuve la récente polémique soulevée par l’article du Parisien, qui dans son édition du 18 mai dernier, consacrait un article aux « femmes victimes de harcèlement dans le quartier La Chapelle-Pajol » avant de rétropédaler lamentablement. La bien-pensance avait, en effet, sorti la grosse artillerie de la désinformation en affirmant que ces accusations relevaient du racisme pur et simple. La presse devait donc rendre les armes.

Un bouleversement radical

Comment réagirait Albert Simonin, célèbre enfant de La Chapelle, s’il revenait parmi nous ? L’auteur de Touchez pas au grisbi, né en 1905, a passé plus de vingt ans de sa vie dans ce quartier de Paris qui, contrairement à la Goutte d’Or toute proche, n’était pas encore un quartier ethnique. Léon Daudet, dans Paris vécu, décrivait Barbès en ces termes : « Le vieux Marseille est dépassé. La Kasbah aussi. Chaque maison est un bouge, retentissant de querelles, de cris, de chansons obscènes, de hurlements. » A quelques encablures des maisons d’abattage de la rue de la Charbonnière, et comme le rapporte Simonin dans Les Confessions d’un enfant de La Chapelle, « La Chapelle de mes premières années était encore un village, et à l’instar des bourgades de province, le passage d’une automobile dans ses rues y déclenchait une intense émotion, proche de la panique. » Il fait revivre ces ouvriers qui, dans ce quartier enclavé entre les gares du Nord et de l’Est vivaient chichement, « contrairement aux employés du Chemin de fer qui constituaient en quelque sorte l’aristocratie de ce petit peuple » des faubourgs. Point de sidis à l’horizon, mais seulement de braves Parigots ou des provinciaux comme la grand-mère de Simonin qui eut la plus grande difficulté, au début des années 20, à trouver une « blanchisseuse capable d’amidonner et de tuyauter ses coiffes bressanes qu’elle refusait d’abandonner, car elle ne pouvait s’aventurer dans les rues la tête nue ». Il brosse le portrait de ses voisins, décrit les logements modestes, les nombreux ateliers, les bains publics, les trois cinémas du quartier, « les bals du 14 juillet et les baraques de la fête foraine qui donnaient le signal des fêtes populaires » ou les Bouffes du Nord qui ont encore pignon (bolcho-boboïsé) sur rue. Il ne cache pas les bagarres entre bandes rivales de gamins leucodermes. Il évoque même la mémoire d’un certain abbé Rudinsky qui, au plus fort du combisme, alors que retentissaient sur son passage des « croa… croa » de mauvais aloi, « fonça sus aux mécréants, endormit le plus balaise d’une droite fulgurante… puis bossela le portrait des deux autres avant d’aller accomplir son ministère ». Un réflexe qui n’est plus de mise aujourd’hui et qui explique combien l’islam peut se sentir en pays conquis dans cet arrondissement vanté par les guides touristiques comme un modèle du genre en matière de cosmopolitisme.

Une ethnicisation progressive

« Contrairement à une légende entretenue dans la cervelle des jeunes bacheliers par des papas casaniers, La Chapelle n’est ni un quartier de crimes, ni un quartier de punaises. C’est un endroit charmant et même sérieux », écrivait Léon-Paul Fargue en 1932 dans Le Piéton de Paris. Arrivé à quatre ans dans ce village « où à toute heure du jour, des équipes d’ouvriers vont et viennent le long des cafés au front bas où l’on peut “apporter son manger”, laisser ses gosses “pour une heure” et “dormir parfois sans consommer” », il ne cessera d’arpenter les rues et les boulevards de ce qui est devenu une zone de non-droit. Certes, il souligne – nous sommes en 1932 – que parfois « des paquets d’ouvriers étrangers rôdent, le dimanche, sous l’immense baldaquin du métro (…) et parfois se sautent à la gorge pour une affaire d’apéritif ou de femmes. Ces luttes sont courtes et muettes car le refus du permis de travail (…) a remplacé la fatalité et même la peur du gendarme dans l’imagination de ceux qui ont l’ardeur facile ». Rien à voir cependant avec toute la faune qui a pris possession du nord de Paris depuis la fin des années 60 au point de bouleverser son équilibre démographique. Rien à voir non plus avec les milliers de clandestins qui affluent sur les trottoirs et les squares de la capitale.

« La Chapelle est bien ce pays d’un merveilleux lugubre et prenant, ce paradis des paumés, des mômes de la cloche et des costauds qui ont l’honneur au bout de la langue et la loyauté au bout des doigts », peut-on lire dans les premières pages du Piéton de Paris. Ce temps-là est bel et bien fini. Circulez… Y a rien à voir et Albert Simonin est même interdit de rue et de place dans le quartier où il a vu le jour. Pensez donc, il avait écrit, dans les années 40, Le Bourrage de crâne avec Henry Coston. Ça ne s’invente pas.

Photo : La prière du vendredi dans le 18e arrondissement… en 1993, déjà.

Francoise Monestier – Présent

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