En France, si tu cherches à comprendre un dossier compliqué, regarde le parcours du directeur de cabinet du ministre concerné.
Et tout s’éclaire.
L’affaire STX n’échappe pas à cette règle.
En 2014, le croisière MSC Croisières, filiale de l’armateur italien installé à Genève MSC, passe commande à STX France, ex-Chantiers de l’Atlantique (rachetés par Alsthom en 1976), de deux super-paquebots pour un montant total de 1,5 milliard€. Pour obtenir cette commande, la lutte est âpre.
STX fait face à un concurrent de taille: Fincantieri, le constructeur italien qui possède notamment un chantier à Gênes. Fincantieri dispose du soutien des pouvoirs publics italiens et cherche à convaincre MSC que ses commandes doivent tomber dans l’escarcelle d’un compatriote.
La famille Aponte, qui a fondé MSC et s’est installée à Genève, ne tient manifestement pas à tomber dans les mains de son gouvernement d’origine. MSC réserve donc à Fincantieri une commande de 200 millions € pour la restauration de quelques paquebots anciens, mais préfère la France pour les opérations lourdes, à condition que les Français se montrent conciliants.
Pour obtenir la commande, la France se bat… et convainc les syndicats d’accepter un accord de compétitivité pour réduire les coûts de construction. «Il a fallu accepter d’affronter certaines réalités en face, admet Christophe Morel, délégué syndical CFDT. Avoir le courage d’aller à la table des négociations, pas pour obtenir du plus mais pour limiter le moins.»
Dans la pratique, à salaire égal, le temps de travail augmente pour tenir dans l’enveloppe du 1,5 milliard€.
On ajoutera que MSC a quand même dû passer commande de 3 nouveaux bateaux, par la suite, à Fincantieri. Mais MSC reste historiquement méfiant visant de Fincantieri qui est le constructeur exclusif de l’un de ses concurrents, Carnival.
Là où intervient Alexis Kohler
Quels ont été les termes exacts de l’accord entre la France, au sens large, et MSC? Personne ne les connaît exactement. On sait seulement que, du côté de l’entreprise, la négociation d’un accord de compétitivité fut un préalable pour réduire les coûts. On sait aussi que l’État a apporté sa garantie financière pour la construction des navires.
Mais en son temps, Pierre Moscovici alors ministre a glissé que d’autres conditions avaient été négociées pied à pied.
“Sans en préciser les détails, Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, souligne que les modalités de financement étaient épineuses. «Il a fallu réformer nos systèmes de financement à l’export, moins performants que chez nos voisins.» Au final, «sur mesure mais pas hors norme, dans le respect scrupuleux des règles européennes».” écrit Le Figaro à l’époque.
L’intervention de l’État fut donc déterminante dans ce dossier. Et, pour MSC, l’État, c’était d’abord le directeur de cabinet du ministre Moscovici… un certain Alexis Kohler.
La commande des bateaux est conclue en mars 2014. Durant l’été, Emmanuel Macron succède à Moscovici, et Kohler reste directeur de cabinet. Il suit donc le dossier MSC du début à la fin.
MSC et l’affaire STX
Il se trouve qu’entretemps, si Saint-Nazaire engrange les commandes, la maison-mère du groupe, le coréen STX Offshore & Shipbuilding, va mal. L’entité est devenue propriétaire des chantiers de l’Atlantique en 2008. À cette époque, les Coréens avaient acheté l’entreprise au Norvégien Akers, qui les avaient achetés à Alstom en 2006. Cette cascade de rachat illustre bien les dégâts de la mondialisation sur l’industrie d’un pays dont les élites n’ont plus de stratégie nationale.
Toujours est-il que le 19 octobre 2016, le tribunal de Séoul met en vente les chantiers de Saint-Nazaire. Pour MSC, cette circonstance est catastrophique, puisque Saint-Nazaire est chargé des constructions les plus coûteuses et les plus prometteuses de STX. Un changement de main des chantiers représente donc un risque certain, surtout après une négociation aussi âpre.
En outre, MSC sait que Fincantieri ne manquera pas d’être candidat à la reprise, ce qui constitue un risque supplémentaire.
MSC décide alors de préparer une offre de reprise avec une autre croisiériste (RCCL) et un constructeur néerlandais: Damen. Cette offre semble avoir été préparée très en amont, c’est-à-dire du temps où Emmanuel Macron était encore ministre de l’Économie et Alexis Kohler directeur de cabinet.
Il se trouve que, selon des informations concordantes, l’offre MSC avait la préférence du gouvernement français. Elle semble avoir recueilli l’assentiment de l’exécutif, y compris après la démission d’Emmanuel Macron.
L’étrange parcours de Kohler
Ici l’histoire intrigue, forcément. En août 2016, Macron démissionne de son poste de ministre. Kohler le suit. Commence alors un embrouillamini dont on peine à suivre le fil.
Facialement, Alexis Kohler devient directeur de cabinet du candidat Macron, à la tête du mouvement En Marche. Mais, début octobre, Kohler démissionne officiellement de ce poste. La presse annonce alors qu’il est recruté par… MSC Croisières, en tant que directeur financier. Le monde est petit!