♦ Alors que, toujours plus combattue ou, au contraire, défendue bec et ongles, l’Union européenne est au cœur du débat présidentiel français, le 60e anniversaire du Traité de Rome a été célébré ce printemps avec une solennité particulière, et son principal artisan, Jean Monnet (1888-1979), a été porté aux nues.
Mais Monnet fut-il « le père de l’Europe », appellation flatteuse qui justifia sa panthéonisation, ou bien plutôt son parrain, son padrino, au sens mafieux du terme ?
Avant de se rendre aux urnes le 7 mai, tout électeur devrait avoir parcouru la très copieuse et passionnante biographie de l’historien nîmois Bruno Riondel (*), enrichie d’un appareil de notes dont beaucoup contiennent des pépites – telle celle de la page 523 sur l’abdication de Benoît XVI, que provoqua peut-être la déconnexion arbitraire du Vatican du système de paiement par cartes bancaires Swift par le système bancaire international… qui rétablit la connexion dès l’élection du pape François.
Certes, Monnet fut très tôt un idéologue de la construction européenne. Mais était-ce par conviction ou par adhésion – intéressée – à un mondialisme qui le rétribua au centuple ? A la lecture de ce livre, la seconde hypothèse s’impose. D’aucuns estimeront que l’auteur a fait œuvre partisane. Mais la masse des documents qu’il produit, des témoignages – venus des deux côtés de l’Atlantique – qu’il reproduit, est accablante.
De la City à Wall Street, toujours du côté du manche
Fils d’un négociant en cognac charentais et peu doué pour les humanités, comme on disait alors, le jeune Monnet choisit très tôt d’aller voir outre-Manche si l’herbe y est plus verte. Très vite introduit, malgré son inculture, au sein des milieux intellectuels britanniques tel le fameux groupe Milner et des socialistes universalistes de la très influente Fabian Society, il se dévoue corps et âme à sa patrie d’élection et devient un protégé de la banque Lazard (qui lui permettra, après la Grande Guerre, de faire racheter par la modeste entreprise familiale la célèbre société allemande des champagnes Mumm).
Fort de ces solides appuis, lui qui s’est fait réformer – au contraire de Robert Schuman, autre futur « père de l’Europe » – revient en France après la Bataille de la Marne pour convaincre le président du Conseil René Viviani de la nécessité de créer un pôle maritime franco-britannique pour optimiser les transports de vivres, munitions et matières premières pour le plus grand profit de la City ; il obtient – à 26 ans ! – le statut envié de haut fonctionnaire interallié qui lui sera confirmé par Clemenceau : un tremplin idéal pour militer en faveur de la Société des Nations – la SDN, ancêtre de l’ONU – dont il deviendra en 1919 le numéro deux.
Beaucoup de ses contemporains français voyaient alors en lui un honorable correspondant du Foreign Office de Londres et son biographe donne à ce sujet des détails édifiants. Mais la Première Guerre mondiale a affaibli Albion et, dévoré par l’ambition de jouer un rôle planétaire autant que par l’esprit de lucre, Monnet voit plus loin : cap sur le véritable gagnant du conflit, les Etats-Unis, où, toujours appuyé par la banque Lazard, il renouvelle ses tentatives d’entrisme, presque toutes couronnées de succès ! Il va jusqu’à la Maison-Blanche sous la protection de l’omnipotent (faux) colonel Mandell House qui avait porté Woodrow Wilson à la présidence et au tout-puissant Council of Foreign Relations créé et dirigé par le clan Rockefeller dont le but, selon le représentant américain Lawrence Patton McDonald (cousin du général Patton et disparu comme ce dernier dans un étrange « accident », de jeep pour l’un, d’avion pour l’autre), était « de créer un gouvernement mondial unique combinant le communisme et le supercapitalisme sous la même bannière et sous leur contrôle ». Tout cela allait être confirmé bien plus tard par David Rockefeller avec son propos révoltant sur la révolution culturelle déclenchée par le Grand Timonier pour se débarrasser de ses opposants : « Peu importe le prix de la révolution chinoise… L’expérience menée en Chine sous la direction du président Mao est l’une des plus importantes et des plus réussies de l’histoire humaine. »
On ne sait ce que Jean Monnet, alors assez diminué, avait pensé de la Révo’ cul’, mais on sait que, fondateur et coprésident de la Bancamerica sise à San Francisco, il n’était pas hostile à l’Union soviétique, que tous ses amis banquiers et financiers, en commençant par les Warburg et les Hammer, avaient puissamment aidée de leurs subsides. N’est-ce pas d’ailleurs Staline qui, sans doute à la demande de l’ambassade états-unienne, accéléra le divorce d’une résidente italienne, Silvia de Bondini, que Monnet épousa en 1934 à Moscou ?
L’Union européenne, simple étape vers la mondialisation
Pour ce Charentais de naissance, les terroirs sont dépassés. Si, en 1999, le général judéo-américain Wesley Kanne Clark, le boucher des Balkans, suscita une certaine émotion en déclarant :
« Dans l’Europe moderne, il n’y a pas de place pour les Etats ethniques uniformes ; ceci est une idée du XIXe siècle pendant que nous faisons tout notre possible pour passer au XXIe et nous le ferons en créant les Etats multinationaux »,
cet objectif était depuis des décennies celui de Jean Monnet, agent actif de Wall Street après avoir servi la City de Londres. Dans ses Mémoires, édités par Fayard en 1976, il prédit en effet :
« Ai-je assez fait comprendre que la Communauté [européenne] que nous avons créée n’a pas de fin en elle-même ? Elle est un processus de transformation qui continue celui dont nos formes de vie nationales sont issues au cours d’une phase antérieure de l’histoire… Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain. »
Avec l’accord de Washington, ce grand démocrate n’hésitera pas après-guerre à s’allier à des chantres vichyssois de la Synarchie et même à d’anciens dignitaires du IIIe Reich, tel Walter Hallstein, épisode soigneusement occulté par ses thuriféraires, afin de réaliser la Communauté européenne. Car pour lui, le but ultime est la Terre réduite à un village planétaire dont « la véritable autorité politique », pour le citer encore, sera une haute administration, mi-technocratique, mi-capitalistique, qui tirera les ficelles sans qu’élus ni populations n’aient leur mot à dire et sans, pour l’hypercaste dirigeante, d’autre ambition que d’engranger les profits maximum quel que soit le nombre des martyrs du Nouvel Ordre au cours de cette guerre qui, pour ne pas dire son nom, sera la plus meurtrière – par les armes, mais aussi par le dénuement et/ou le désespoir – l’espèce humaine ait connue.
Macron, Messie du Marché et candidat de l’ « UERSS »
Au-delà de la « tyrannie de la morale » prétendant interdire le vote Le Pen, le véritable enjeu du scrutin de dimanche sera cette « UERSS » dont le grand dissident russe Vladimir Boukovski (que Bruno Riondel a eu la bonne idée de faire figurer dans ses « Annexes ») affirmait que, derrière les « vertueux principes de liberté, de progrès, de droits de l’homme », s’affairent « les mêmes forces qui ont construit ce monstre bureaucratique que l’Union soviétique a été pendant soixante-dix ans ».
Ce sont les mêmes forces qui sont aujourd’hui regroupées derrière le juvénile Emmanuel Macron, dont la qualification pour le second tour a été saluée le 24 avril par l’agence boursière new-yorkaise Bloomberg, incarnation de la finance anonyme et vagabonde, comme « le scénario parfait dont le Marché rêvait désespérément ». A ceci près que lui est l’obligé de Rothschild quand son modèle, « mélange de gangster et de conspirateur » selon Oliver Harvey, était à la solde de Lazard.
Macron est le clone de Monnet, et le portrait du dernier, brossé par Bruno Riondel, est celui du premier, soutenu et poussé par « des minorités d’hommes munis d’un grand pouvoir, unis par un idéal internationaliste que des appartenances à des think tanks et des initiations diverses rassemblent, et que de prestigieuses promotions récompensent, décid[a]nt, dans l’ombre des cénacles qu’ils fréquentent, de l’avenir des peuples au mépris de ceux-ci et de la démocratie ».
Un tel avenir est celui qui découle d’un « projet historique révolutionnaire déroulé sur le long terme intergénérationnel, celui d’un nouvel ordre mondial qui pourrait se révéler être, à terme, l’ordre impérialiste d’une nouvelle Rome oligarchique et anglo-saxonne ».
Nous voici prévenus.
Camille Galic – Polémia
(*) Bruno Riondel, Cet étrange Monsieur Monnet, éditions du Toucan/L’Artilleur 22 mars 2017, 560 pages, avec bibliographie, index et annexes.
B. Riondel a également publié en 2015 à L’Artilleur Considérations inconvenantes sur l’école, l’islam et l’histoire en France à l’heure de la mondialisation.