Emmanuel Beau de Loménie (1896-1974) a consacré vingt-deux années de sa vie à la rédaction de son œuvre majeure, Les Responsabilités des dynasties bourgeoises, publiée entre 1943 et 1973. Au regard des principaux événements politiques et économiques, il dissèque minutieusement « les égoïstes collusions affairistes des grands dynastes » qui ont gangrené notre pays depuis la Révolution française jusqu’au régime de Vichy.
Trop méconnu aujourd’hui, cet ouvrage lumineux et complet mériterait d’être lu par tous les Français.
Un historien, écrivain, essayiste et journaliste méconnu
Que savons-nous au sujet de Beau de Loménie ? Les informations sont rares. Au fil des pages quelques indications de sa part nous apprennent qu’il s’engagea volontairement en 1915, combattit dans les tranchées et fut gravement blessé au point d’être classé « inapte ». Secrétaire général des étudiants de l’Action Française de 1919 à 1923, il publia en 1929 une thèse de Sorbonne sur Chateaubriand qui lui valut les foudres de Charles Maurras. Journaliste et professeur, il côtoya de nombreuses personnalités politiques et littéraires à Paris. De 1923 à 1930, il travailla dans les bureaux des finances. Comprenant que pour défendre les classes moyennes de bourgeoisies traditionalistes il fallait « attaquer de face les grandes féodalités », il se présenta à Courbevoie à la campagne électorale de 1936, mais il ne fut pas élu. Lorsque la « drôle de guerre » fut déclarée, il occupa notamment un poste au ministère de l’Information aux alentours de 1940 avant de suivre le régime du maréchal Pétain à Vichy.
La féodalité bourgeoise d’industrie et de finance
La fuite des capitaux à l’étranger, l’endettement pour la construction de chemins de fer, le monopole des banques, les colossales dépenses de guerre, les dévaluations successives du franc… et la liste n’est pas exhaustive, Beau de Loménie dénonce les fléaux responsables de notre situation économique. D’une plume aiguisée, il esquisse le portrait des vedettes, les ancêtres de ces opportunistes qui composent notre gouvernement actuel – ou les « 200 Familles » – dont les actions ont eu tant de conséquences néfastes sur la santé de notre pays.
Cette « féodalité bourgeoise d’industrie et de finance » a manœuvré de génération en génération jusqu’à s’arroger le monopole de l’opinion publique pour y semer des « confusions d’idées ». Si, dans ses conférences, l’auteur de Né en 1984, Adrien Abauzit, regroupe l’ensemble de nos partis politiques sous la dénomination de « gauche », c’est bien parce que la République n’offre, en réalité, qu’une illusion de choix. Comme l’écrit Henry Coston dans La Fortune anonyme et vagabonde, « le flacon qu’ils présentent sous une étiquette différente contient le même poison ».
De l’origine de nos partis politiques et des « élites » actuelles
Et pour cause ! Après la Révolution menée par les Jacobins, le Centre-gauche qui regroupait initialement les bourgeois conservateurs s’est progressivement divisé sous la Troisième République entre les socialistes, les républicains, les radicalistes, et plus tard les communistes/marxistes ; tandis que le Centre-droit,s d’origine orléaniste, par essence royaliste et opposé à la République, se scindait entre les légitimistes et les bonapartistes. Or, pour consolider leurs positions, les membres les plus influents, tels que le fameux Talleyrand, n’ont cessé de « manœuvrer constamment entre les partis et entre les systèmes ». La primauté des intérêts financiers a justifié des alliances entre les vedettes des différents partis. Les opposants à la République de Lumières, partisans de la véritable droite réactionnaire, ont progressivement été évincés de l’échiquier politique.
La République n’a jamais été un régime stable
En plus d’être contraire à l’ordre naturel, la République est un jeune régime : depuis 1789, entrecoupée par l’Empire, la Restauration, le régime de Vichy, elle n’a jamais connu la stabilité. Beau de Loménie démontre qu’elle n’a cessé d’apporter la division. En abritant dès le départ en son sein des contradictions internes, elle a livré la France aux puissances oligarchiques, la privant du dynamisme et du prestige international dont elle jouissait auparavant avec ses treize siècles de tradition monarchique. Aujourd’hui, cette République imposée par la force tangue, oscille, se disloque : après de tels résultats, il n’est pas surprenant qu’elle agonise, enfin.
« Préparons à la France un passé magnifique »
Toute âme française ne saurait demeurer indifférente à la lecture d’une telle œuvre. Beau de Loménie nous lègue un héritage considérable. Rédigée par un esprit brillant, pétri de littérature et de culture françaises, elle apporte une note d’espoir à diffuser sans modération ! La conclusion du dernier volume sonne comme un encouragement pour les générations futures : la tâche est ardue mais il en va de notre responsabilité de relever le flambeau.
Sacha Guitry l’avait bien compris aussi, en nous rappelant que « Ce qu’on donne au passé, le passé nous le rend. Et si ce qu’on lui donne est bien, il nous le rend impérissable. Mieux : il nous le restitue présent. […] Préparons le passé. Préparons à la France un passé magnifique, en n’aimant qu’elle au monde, en travaillant pour elle, en lui donnant bien mieux encore que notre vie, notre existence quotidienne ».
Virginie Vota – Polémia
Réédition des cinq volumes par les Editions du Trident, 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris, auprès desquelles peuvent être commandés chaque volume séparément ou la collection complète.