A l’heure où les grands chantiers de la culture ne semblent pas être au centre du débat politique, nous avons questionné les candidats pour connaître leur programme en matière de culture. Emmanuel Macron a répondu par mail à nos questions. Le leader du mouvement “En Marche” affirme faire de l’école et de la culture le premier chantier de son projet présidentiel. Voilà comment…
Encourager les pratiques culturelles et artistiques dès le plus jeune âge. S’adresser aux grands oubliés, les jeunes de 18 ans en instaurant un pass de 500 euros et l’ouverture élargie des bibliothèques et médiathèques. Défendre l’exception culturelle et faire de la culture un enjeu prioritaire de la refondation de l’Europe… Emmanuel Macron nous détaille son projet avant de nous livrer ses coups de coeur, de Paul Ricoeur à Cy Twombly, en passant par les Tontons Flingueurs.
1- La culture pour vous, c’est quoi, à quoi ça sert ?
La culture donne à un peuple une histoire commune et un destin partagé. La culture, c’est ce qui nous tient, ce qui nous définit intrinsèquement et nous ouvre au monde. La culture, c’est aussi la condition de l’accès à une pensée libre et critique, hors de laquelle il n’est pas de véritable citoyenneté. Cela permet à tout citoyen d’être profondément ce qu’il aspire à être. La culture est donc un formidable instrument de liberté et d’émancipation. C’est ce qui permet de construire un chemin, de sortir des assignations à résidence que créent les origines sociales. C’est pourquoi la culture n’appartient pas à quelques-uns : elle doit être accessible à tous.
La culture c’est enfin, dans le monde entier, une source de rayonnement de la France et de la langue française, qui est notre patrimoine commun. La culture française reste ce modèle vers lequel se tournent ceux qui cherchent un surcroît de sens. La politique culturelle n’est pas un secteur de l’action publique comme un autre : elle exprime un projet de société. C’est pourquoi mon projet politique est un projet culturel : un projet d’émancipation, une réponse aux barrières invisibles que crée la société.
2- Faut-il ou non un Ministère de la culture ?
Evidemment, plus que jamais ! Et j’irais plus loin en disant que le ministre de la culture et de la communication doit être au cœur du projet présidentiel d’émancipation, avec celui de l’éducation nationale. C’est pour cette raison que j’ai fait de l’école et de la culture le premier chantier de mon projet présidentiel. Quand le général de Gaulle fait de Malraux le premier Ministre des Affaires Culturelles, il prend acte de deux choses fondamentales : d’abord que l’accès à la culture est un droit pour chacun, ensuite que le rayonnement international de la France passe par sa langue et sa culture. Sa feuille de route, c’est une éternelle exigence, qui est toujours d’actualité : « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». L’exception culturelle et la diversité culturelle que la France a construites font rêver le monde entier.
Il faudra se poser la question des contours du ministère de la culture et de ses relations avec les autres ministères. Pour prendre un seul exemple, on ne peut pas se satisfaire de l’éclatement actuel de l’action culturelle internationale. L’influence de la France dans le monde passe d’abord par sa culture et sa langue ; or les acteurs du rayonnement culturel de la France à l’étranger sont aujourd’hui dispersés et peu coordonnés. Nous y mettrons bon ordre.
3- Quelles sont vos priorités dans le domaine de la culture ?
D’abord l’accès à la culture et aux pratiques artistiques. Voilà la clé de voûte et l’objectif prioritaire. Pour atteindre cet objectif il faut commencer tôt, dès l’école. C’est pourquoi nous encouragerons les pratiques culturelles et artistiques dès le plus jeune âge, car c’est dans les premières années de la vie que se crée le désir de culture. Un effort a été engagé depuis quelques années, mais il faut aller plus loin, plus vite.
Ensuite, il faudra préserver mais aussi renouveler le modèle français de création culturelle. Nous savons qu’il a produit des résultats magnifiques : notre pays est réputé pour ses monuments, ses musées et ses institutions culturelles, la vitalité de sa création et aussi pour ses festivals et ses filières d’excellence. On pourrait aussi citer le soutien au cinéma ou le prix unique du livre. Mais nous savons aussi que ce modèle est en train de s’essouffler. Des déserts culturels subsistent en France : trop d’entre nous sont laissés au bord de la route. Et le numérique, s’il offre d’inépuisables possibilités d’accéder aux œuvres, fragilise l’édifice patiemment construit pour soutenir la création artistique et culturelle. C’est ce modèle qu’il faut repenser et refonder.
Enfin, j’entends redonner du sens à l’idéal européen en plaçant la culture au cœur des politiques européennes. Il faut se rendre à l’évidence : les citoyens européens n’ont pas aujourd’hui le sentiment de faire partie d’une même communauté. N’est-ce pas Jean Monnet lui-même qui aurait dit que « si c’était à refaire, il recommencerait par la culture » ? C’est bien ce que j’entends proposer à nos partenaires, pour faire de la culture un enjeu prioritaire de refondation de l’Europe. C’est pourquoi j’ai lancé l’idée de convoquer un sommet des chefs d’État et de gouvernement européens pour réaffirmer le rôle central de la culture pour une Europe durable, proche de ses citoyens, et décider des grandes orientations pour donner corps à l’Europe de la culture.
4- Et quelle est la mesure que vous vous engagez à mettre en œuvre dès votre arrivée au pouvoir ?
J’ai déjà évoqué la priorité que constituera l’éducation artistique et culturelle. Je veux aussi m’adresser aux grands oubliés de la politique culturelle, les jeunes de 18 ans. Ce sont ceux qui en ont pourtant viscéralement besoin, au moment de l’entrée dans l’âge adulte qui est aussi celui de la citoyenneté. Pour cela, deux mesures seront instaurées : le Pass culture et l’ouverture élargie des bibliothèques et médiathèques.
Le Pass culture, c’est une application numérique qui permettra à tous les jeunes de 18 ans d’acquérir des biens et services culturels à hauteur de 500 euros : ce seront des tickets de cinéma, des billets pour des expositions qui échappent à la gratuité, des livres, des places de théâtre, de concert, d’opéra. C’est un acte de confiance dans toute une génération et une incitation, pour les établissements culturels, à s’adresser plus spécifiquement aux jeunes et à leur donner envie de profiter d’une offre adaptée.
Ensuite, ouvrir les bibliothèques le soir et le week-end, et ainsi rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens, c’est donner aux jeunes et à leur famille la possibilité d’avoir un havre d’accès à la lecture, à des activités culturelles, un lieu pour travailler, pour réviser, pour rêver et pour rencontrer. Le numérique est certes une voie rapide vers une offre culturelle plurielle, insoupçonnée mais, et c’est fondamental, il ne remplace pas l’expérience physique des œuvres.
5- Dans quelle proportion souhaitez-vous augmenter ou diminuer le budget de la culture ?
La politique culturelle ne saurait se construire sans l’investissement de l’État. Aussi l’effort public en faveur de la culture sera maintenu pendant le quinquennat. Pas un euro ne sera retiré du budget du ministère de la culture. C’est un effort public et une exigence que je souhaite maintenir. J’en ferai un engagement fort, même dans le contexte dégradé des finances publiques que nous connaissons.
Cet engagement ira de pair avec une exigence accrue d’efficacité : les politiques publiques en faveur de la culture seront évaluées, comme les autres politiques. Nous devons nous acclimater à l’idée que les résultats d’une politique publique ne se mesurent pas à l’aune du niveau de dépense publique engagée mais aussi – et surtout – à celle des effets concrets sur ses destinataires.
6- Êtes-vous favorable au maintien de « l’exception culturelle française » ?
Je ne serai jamais de ceux qui considèrent que la création culturelle est un bien marchand comme un autre. Cela fait naturellement de moi un défenseur de l’exception culturelle. Le prix unique du livre ou le soutien au cinéma sont des références, des modèles. Pour conserver ces acquis et projeter ces valeurs dans un monde neuf, notamment celui du numérique, nous adapterons le modèle de soutien à la création de manière à ce qu’il réponde à la nécessité de préserver la diversité culturelle et la liberté de la création.
Pour conforter le soutien à la filière du livre et l’adapter à ce nouveau modèle, il faut par exemple défendre résolument les piliers de la politique du livre en garantissant l’intégrité du droit d’auteur, le maintien du prix unique du livre et du taux de TVA réduit. C’est ce que j’ai dit lorsque j’étais au salon Livre Paris il y a quelques jours. La loi Lang sur le prix unique du livre est un modèle de régulation. Son principe doit en être défendu dans le monde numérique, ce qui ne va pas de soi, et il doit aussi être préservé au niveau européen. Or certains de nos partenaires n’y sont pas favorables. C’est pourquoi nous nous battrons au niveau européen pour défendre ce principe, que de nombreux pays ont adopté.
7- Que proposez-vous pour favoriser l’accès à la culture pour tous ?
La priorité culturelle du quinquennat sera d’ouvrir l’accès à la culture et aux pratiques artistiques à tous dès le plus jeune âge et de prolonger cet effort vers les familles et les jeunes adultes. Ce chantier participera de manière décisive à la politique de réduction des inégalités. Je fixerai un objectif simple : que 100% des enfants aient accès aux actions d’éducation artistique et culturelle, contre moins de la moitié aujourd’hui.
Ce chantier est intimement lié à celui de la réforme de l’éducation qui accordera des libertés nouvelles aux établissements. Chaque élève accédera aux actions culturelles pendant le temps scolaire. Pour les plus jeunes, c’est l’éveil musical qui sera privilégié dès la maternelle, en s’appuyant sur les récentes recherches scientifiques qui montrent l’impact de la musique dans le développement cognitif.
8- Êtes-vous favorable à la préservation du statut des intermittents ?
L’écosystème culturel français fonctionne notamment grâce au régime spécifique d’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle, qui doit être vu d’abord comme un outil au service de la politique culturelle. Il s’agit donc de le pérenniser et de le préserver, en s’appuyant sur l’accord d’avril 2016, qui est un bon compromis et une avancée réelle. Pour garantir sa pérennité il devra être adapté : périmètre, lutte contre les abus dans l’utilisation, prise en compte des heures pouvant être consacrées à des actions d’éducation artistique et culturelle.
9- Quelles mesures proposez-vous pour la préservation du patrimoine ?
Les Français sont attachés à leur patrimoine, et conscients de l’extraordinaire richesse de cet héritage commun. Le succès sans cesse renouvelé des Journées européennes du patrimoine témoigne de cet engouement populaire. Facteur de développement économique et d’attractivité, réparti dans les territoires, le patrimoine mérite d’être entretenu et mieux valorisé, sans tomber dans le travers un peu dépassé de l’opposition avec la création. Mieux que de seulement le préserver, nous souhaitons remettre à l’honneur un patrimoine vivant, ancré dans des territoires, et où l’architecture, l’urbanisme et le cadre de vie se rejoignent dans un projet politique.
Pour financer sa rénovation et sa valorisation, il faudra diversifier les ressources : crédits du ministère de la culture ; appels à projets pour financer des actions incitant à conduire des projets culturels, éducatifs ou touristiques permettant la mise en valeur du patrimoine ; encouragement du mécénat – notamment celui des petites et moyennes entreprises ; partenariats public/privé. Nous mettrons par ailleurs en place une stratégie pluriannuelle et partenariale pour le patrimoine qui portera sur les opérations de conservation et de restauration, la numérisation, la politique de diffusion et de valorisation, et la mobilisation des entreprises de travaux sur les monuments historiques et des métiers d’art.
10- Comment souhaitez-vous accompagner le développement de la numérisation de la culture ?
La révolution numérique est une révolution industrielle. Elle ne concerne pas simplement le secteur de la culture, elle est partout. Toutes les actions que nous mènerons la prendrons en compte. Il s’agit donc de l’accompagner tout en ayant en tête les risques qu’elle entraîne.
Les grands projets de numérisation et d’interopérabilité qui ont pu être menées par la Bibliothèque nationale de France pourront être pris comme modèles. De même, je pense que l’audiovisuel public doit être à la pointe de la transition numérique, en accompagnant l’évolution des formats et des contenus. Il me semble aussi décisif de créer les conditions de l’émergence d’un « Netflix européen » en développant les infrastructures numériques et en soutenant le développement d’une industrie européenne de la production d’œuvres et de contenus.
11- Et pour finir quels sont vos goûts en matière de culture ? La dernière œuvre qui vous a touchée ?
J’ai des goûts qui peuvent être vus comme classiques mais je suis curieux de tout et ne demande qu’une chose, découvrir, toujours découvrir et être surpris. Ce sont sûrement la philosophie et la poésie qui m’ont, dans ma jeunesse, le plus touché : Paul Ricœur avec qui j’ai tant aimé travaillé et René Char dont j’ai dévoré les recueils ont été mes maîtres à penser et à ressentir. Pour le reste, dans la vie de tous les jours, les œuvres qui font ce que je suis, je ne cesse de m’émouvoir lorsque j’entends les chansons de Léo Ferré, ou de rire devant les répliques des Tontons Flingueurs.
Ces derniers mois, j’ai été particulièrement touché par la rétrospective Cy Twombly au Centre Pompidou : une œuvre pétrie de poésie et de mythes, un trait et des couleurs qui donnent une émotion primitive. Je pense notamment à sa série sur la Guerre de Troie. Un choc.