Depuis le 13 novembre 2015, enquêtes, groupes de travail et rapports se cumulent dans le plus grand secret. L’un des dernier en date fait suite à cette « reconstitution » du Bataclan et concerne l’action des forces armées et du ministère de l’Intérieur sur le territoire national. Ce rapport a été « classifié », comme s’il contenait les codes de la bombe.
Une anecdote a fuité fortuitement à l’insu du plein gré de la « grande maison » (c’est comme ça que se surnomme la police nationale), par l’intervention du Saint-Esprit syndical. Elle illustre à elle seule la confusion intellectuelle qui règne… Pour rester poli, prononcer un autre mot usuel qui désigne un autre genre de maison.
Le soir du 13 novembre, le Bataclan est bouclé par l’unité « sentinelle », les secours traitent sur place les premiers blessés, avec une efficacité remarquable, et le GIGN est en approche. Les militaires sont à la manœuvre, mais en haut lieu, ça bataille ferme. Sur le terrain, un cadre de la BAC entend prendre l’initiative et le commandement. Il apostrophe les soldats : « On y va ! » Réponse bien élevée : « On n’a pas d’ordres. » Un vieux principe militaire : j’obéis à mon chef et tu n’es pas mon chef. Réponse sidérale du policier adressée à un des soldats : « File-moi ton FAMAS. » Je crois que la bonne réponse était : viens le chercher… Bilan : 130 morts à la clé, dont une bonne dizaine sous les balles de la police.
Que croyez vous qu’il arriva dans la « grande maison » ? Remises en question, mutations sur le front de l’Est, aggiornamento, limogeages, lettres de démissions, sepukku ? Que nenni : « secret police » et on nous invente une doctrine d’emploi – celle du « primo-intervenant ». Le gars qui monte à l’assaut tout seul devant (comme à l’Hyper Cacher) et qui, tel Bruce Willis, va sauver tout le monde. L’inspiration ? Un mode d’action qui obtient quelques succès en Israël dans des attaques de rue au couteau. En cas de prise d’otages massive comme au Bataclan, totalement à contre-emploi : l’ouverture du feu du « primo-intervenant » isolé et en rapport de force défavorable ne résout rien et aggrave la situation. Les pertes ne peuvent qu’augmenter. Le sang-froid et le temps sont les clés pour une manœuvre de résolution complexe.
Pour sa défense, l’Intérieur se présente comme « ministère de l’Urgence », plaide coupable en reconnaissant son incapacité à planifier des actions et son inaptitude à la conduite opérationnelle. Un discours schizophrène : « l’urgence » nécessite plus encore d’entraînement et d’encadrement que la routine du prévisible.
En enterrant la constitutionnalisation de l’état d’urgence, François Hollande rend un arbitrage définitif. Reconnaissons-lui son bon sens. Mais aussi une certaine habileté politicienne d’avoir présenté cette réforme avec un débat centré sur la déchéance de nationalité, alors que ce n’était qu’un point de détail.
Désormais, le prochain clic dans la guerre contre le terrorisme, c’est la loi martiale. En France, l’armée, c’est le peuple. L’armée française semble offrir plus de garanties constitutionnelles qu’un état policier, fût-il judiciarisé et constitutionnel. Avec une impopularité record du pouvoir, quelle autre institution pour sauver le pays si l’Histoire s’accélère ?