Pierre Lellouche proposera ce jeudi à l’Assemblée une proposition de loi visant à renégocier les compétences de Cour européenne des droits de l’homme. Le député UMP conteste notamment cette “tour de Babel” qui réécrit le droit français et s’est illustrée dans le dossier de Djamel Beghal, le mentor des frères Kouachi. Une résolution qui n’a aucune chance d’être votée, mais qui a le mérite de soulever un certain nombre de problématiques importantes concernant la souveraineté du droit français bafoué au profit de juridictions supranationales.
Vous avez déposé une proposition de loi qui invite le gouvernement à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur les questions touchant notamment à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme. Que reprochez vous à la CEDH ?
Pierre Lellouche : Au fil des années, cette jurisprudence a franchement dérivé – cela tient d’ailleurs aussi à l’évolution de notre propre droit — puisque la saisine de la Cour devient quasi-automatique et la jurisprudence de la Cour a presque été internalisée par nos propres juges. Nous sommes maintenant face à une intervention tous azimuts de cette juridiction très particulière qu’est la CEDH puisqu’il s’agit de 47 juges venant des quatre coins de l‘Europe qui légifèrent ou réécrivent les lois nationales depuis Strasbourg dans tout un tas de domaines. Quand la CEDH décide que les juges du siège sont indépendants mais que le parquet ne l’est pas, elle met à bas le principe de l’unicité du corps judiciaire en France. C’est une évolution que je juge préoccupante parce qu’elle ne correspond pas à notre tradition juridique, celle de Montesquieu, basée sur la séparation des pouvoirs. Tout le droit français est fondé sur l’idée que l’Etat est souverain et que le juge n’a pas une fonction de réécriture de la loi. Le droit français a évidemment évolué au fil du temps. Mais avec cette Cour européenne des droits de l’homme, on est passé d’une vocation de protection des libertés fondamentales contre la torture, la peine de mort… à quelque chose qui touche désormais tout un tas de domaines et cela peut devenir problématique quand je vois la succession des arrêts qui touchent à la sécurité nationale et à la protection contre le terrorisme qui sont des fonctions essentielles de l’Etat.
Vous considérez que la CEDH entrave la France dans sa lutte contre le terrorisme ?
La CEDH laisse les terroristes qui sont condamnés et quelque soit leur nationalité se prévaloir de la saisine directe de la Cour pour faire en sorte qu’ils ne puissent être ni déchus de leur nationalité quand ils sont double-nationaux ni être expulsés. Ce que prévoit pourtant la loi. L’affaire la plus choquante est celle de Djamel Beghal. La CEDH ne voulait pas qu’il soit expulsé de France, donc nous l’avons abrité en attendant qu’il soit condamné pour une autre affaire. Ce Monsieur Beghal a été hébergé aux frais du contribuable et il a pu recevoir les frères Kouachi mais aussi Monsieur Coulibaly qui se sont illustrés avec les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
Ce n’est qu’un exemple, je passe sur les « malheureux » pirates somaliens du Ponant dont la Cour a estimé qu’ils avaient passé trop de temps en prison. Tout cela pourrait presque prêter à sourire. Mais cela donne quand même l’impression que dans cette tour de Babel qu’est la CEDH, on ne connaît pas la même réalité que la nôtre, nous qui sommes confrontés à des flux de terroristes en Europe, que nous devons arrêter, condamner et, au besoin, expulser. Or, la jurisprudence de cette Cour fait que l’Etat a abdiqué sa compétence en matière de sécurité nationale comme dans d’autres, ce qui relève selon moi, d’un déni démocratique qui va contribuer au divorce entre les Européens et la machine européenne car ce système est tyrannique puisqu’il n’y a aucun recours possible une fois que la Cour a rendu un arrêt.
Mais est-il possible pour un Etat de dénoncer la CEDH ou de décider de sortir de cette juridiction ?
C’est là que ça devient très pervers car les politiques ont abdiqué. Ils disent « La France ne peut quand même pas sortir de la CEDH ». Et effectivement, puisque les statuts de la CEDH sont inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme, la seule solution est de dénoncer ces statuts. Mais c’est l’arme atomique puisque cela revient à dire que la France ne reconnaît plus les droits de l’homme en Europe. Ce qui rend la chose très compliquée. En revanche, il y a des Etats qui contestent les décisions de la CEDH.
En Angleterre, il y a eu, en 2012, un vote massif de défiance à l’égard de la CEDH car elle obligeait le Royaume-Uni à donner le droit de vote à ses prisonniers, malgré la loi britannique. Or le prisonnier n’a pas le droit de vote en Grande-Bretagne. En plus, le prisonnier en question a été dédommagé ! Depuis, il y a un bras de fer entre les Britanniques et la CEDH et il n’est pas exclu que les Britanniques décident de sortir. Poutine a déjà dit qu’il voulait sortir. Sans parler de ceux qui n’appliquent pas les décisions de la CEDH car les décisions de la Cour sont déclaratoires, il n’y a pas de sanctions. Donc si un Etat ne veut pas appliquer les décisions de la Cour, il ne se passe rien. Il y a une application à géométrie variable. Les bons élèves, dont nous sommes, appliquent les décisions de la Cour mais il y a des Etats, dont la Russie et la Turquie notamment, qui n’appliquent absolument pas les décisions de la Cour.
Est-ce que vous ne vous servez pas de la question du terrorisme pour dénoncer la Cour dans sa globalité ?
Non, car il y a des jurisprudences en matière de protection des libertés publiques qui sont aujourd’hui incontournables. Tout ce qu’a fait la Cour n’est pas négligeable : la protection des sources des journalistes va dans le bon sens, par exemple, mais je m’inquiète des dérives qui empêcheraient un Etat d’assurer la sécurité de ses citoyens. Je pense que les Etats européens devraient discuter et mettre un certain nombre de limites. En France, le code civil interdit la marchandisation du corps. Au moment du mariage pour tous, le gouvernement avait d’ailleurs souhaité ne pas autoriser la gestation pour autrui (GPA) en France. Malgré cette fin de non-recevoir de l’exécutif, le débat revient dans l’Hexagone via la CEDH. Puisqu’elle dit que la France a le droit d’interdire la GPA sur son territoire mais qu’elle ne peut pas refuser de reconnaître les enfants nés de mères porteuses à l’étranger, car c’est une atteinte à leur « identité ». On écrit donc une autre loi sans que notre Parlement soit consulté. Même chose à l’égard des syndicats de soldats : la CEDH a souhaité que ces syndicats soient autorisés. Ce n’est pas notre tradition. Est-ce que la France souhaite un gouvernement des juges par une cour de justice étrangère ? Je souhaite ouvrir ce débat.