Régine Deforges, disparition d’une femme de lettres sulfureuse

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L’écrivaine et éditrice française est morte jeudi à 78 ans d’une crise cardiaque à l’hôpital Cochin. Elle s’était rendue célèbre grâce à la saga La Bicyclette bleue vendue à dix millions d’exemplaires, et qui fut adaptée à la télévision avec Laetitia Casta.

Elle a finalement rangé sa biclyclette. L’écrivaine et éditrice française Régine Deforges est morte jeudi à 78 ans d’une crise cardiaque à l’hôpital Cochin, a annoncé son fils Franck Spengler. Auteur d’une quarantaine de livres, notamment des romans, des essais et des anthologies, Régine Deforges s’était rendue célèbre avec La Bicyclette bleue, entamée en 1983 et dont le dixième et dernier volume est paru en 2007.

Cette saga l’aura propulsée dans le peloton de tête des romancières françaises populaires, au point parfois d’effacer l’éditrice singulière qu’elle était. Double malentendu si l’on considère en effet la production presque confidentielle des œuvres érotiques qu’elle contribua à publier comparée aux sept millions d’exemplaires vendus des trois premiers livres de sa saga.

emme affranchie et brodeuse au point de croix, terrienne en province et germanopratine à Paris, écrivant ses Contes pervers avant de se pencher sur le destin de la reine pieuse Radigonde, affolant les gendarmes à l’adolescence et bête noire de la Mondaine quelques années après, Régine Deforges avait déjà livré des bribes de sa vie mouvementée dans des romans et récits. Elle solda ses comptes dans ses mémoires en 2013, intitulées L’enfant du 15 août.

Rebelle, forte tête et peu malléable

Régine Deforges était une enfant du 15 août, née en 1935 à Montmorillon dans la Vienne. Elle était bien née le jour de l’Assomption de la Vierge dont elle tient son deuxième prénom. Durant son enfantce, cette gamine ne fut pas de celles à qui l’on donnait le bon Dieu sans confession. Rebelle, forte tête et peu malléable, elle aura affirmé dès l’adolescence une inclinaison à s’émanciper en faisant fi des conventions. Sa blessure la plus profonde date de cette époque. À l’adolescence, un garçon vole son journal intime dans lequel elle fait part de son amour pour la jolie Manon. Convoquée en famille par les gendarmes, Régine Deforges doit s’expliquer sur ce témoignage de «dépravation». La jeune fille se voit mettre au ban de la bonne ville de Montmorillon et renvoyer de son établissement scolaire. Elle s’inspirera de cette cruelle expérience pour écrire en 1978 Le Cahier volé.

Dès l’adolescence, Régine Deforges se plonge dans les livres. Dévorant tout ce qui lui tombe sous la main, sans oeillères, des romans sentimentaux aux grands poètes, recouvrant du papier bleu de ses livres scolaires ses Vernon Sullivan, plongeant dans «une langueur suspecte» avec Louÿs, Apollinaire et Laclos, la romancière est une lectrice avide. À Paris pour suivre le Cours Simon, l’apprentie comédienne découvre le monde de l’édition. Elle y entre par la petite porte en s’occupant d’abord du rayon livres du drugstore des Champs-Élysées. Elle y croise Yves Berger, Jean-Claude Fasquelle, Bernard Privat. Elle se découvre avec l’éditeur Jean-Jacques Pauvert le même goût pour Sade, Bataille et Vian. Celui qui lui donnera sa première fille l’engage pour faire la tournée des librairies et promouvoir sa maison, tournée qui la renvoie dans cette province qu’elle a fuie.

La boulimique des livres constate avec horreur ces piles d’ouvrages dont personne ne parle et finit par ouvrir une librairie à Limoges pour en être chassée quelques semaines plus tard par les notables, horrifiés de voir ce qu’elle y vend au milieu des oeuvres classiques. La jeune femme a déjà forgé son image de belle brune, insolente et sereine, «du moins en apparence». Elle confessa plus tard un état beaucoup moins assuré qu’il n’y paraissait.

Régine Deforges fut la première femme à avoir fondé sa propre maison d’édition

Sa quête se concentra alors tout entière sur un objet qui faisait peur: la littérature érotique. Régine Deforges qui fut la première femme à avoir fondé sa maison d’édition se vit aussi retoquer sa première publication par la censure, Le Con d’Irène réédition d’Aragon qu’elle avait simplement titré Irène en un geste d’autocensure qui s’avéra inutile. Le livre fut saisi quarante-huit heures après sa mise en vente. Elle s’accrocha, lança bien avant l’heure d’Internet et de sa pseudo-confidentialité une bibliothèque érotique par correspondance, publia le premier livre du jeune Hervé Guibert, choquée mais fascinée par ce qu’il écrivait. «Les livres que je publiais étaient interdits les uns après les autres» confiait-elle à l’époque, décrivant l’enfer des saisies, les convocations au tribunal accompagnée de sa garde rapprochée Jean-Jacques Pauvert, Éric Losfeld, Pascal Jardin, jusqu’à la perte provisoire de ses droits civiques. Un épuisant jeu du chat et de la souris. Elle mit la même énergie à écrire un roman populaire inspiré d’Autant en emporte le vent, commande de l’éditeur Jean-Pierre Ramsay qu’elle intitula La Bicyclette bleue, publiant neuf autres volumes à leur suite.

En 1986, Régine Deforges avait présenté son roman Pour l’amour de Marie Salat dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot.

L’an dernier, en publiant L’enfant du 15 août, Régine Deforges faisait preuve d’une franchise étonnante. On y découvrait une femme téméraire qui évoquait «la réalité sèche» dont elle voulait parer ses souvenirs. Elle s’y était astreint avec une honnêteté sans faille au fil d’un récit qui s’attardait sur un des pans les plus culottés de l’histoire de l’édition française. On y distinguait également entre les lignes la peur de la vieillesse et de la mort.

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