La trêve pascale

Par Jacques Garello*

Au Moyen Âge, l’Église avait institué la paix de Dieu. Les armes des chevaliers devaient être rangées pendant les grandes fêtes religieuses, et la trêve était respectée de tous. Située au printemps, saison propice à toutes les ardeurs, la trêve pascale calmait les seigneurs impatients d’en découdre.

Je ne me fais pas d’illusion : il n’y aura pas de trêve pascale dans la campagne électorale, d’ailleurs avons-nous à faire à des chevaliers ou des seigneurs ? Je suppose au contraire que, les sondages se succédant, la lutte soit plus ardente et démesurée que jamais.

Alors, pourquoi évoquer la trêve pascale ?

Simplement parce qu’en la circonstance elle est là pour nous rappeler que des élections, si importantes soient-elles, doivent être ordonnées à des principes plus fondamentaux, dont certains sont purement matériels, et d’autres sûrement intellectuels, voire spirituels. 

Un principe terre à terre est celui qui prescrit une saine gestion de l’économie. La Nouvelle Lettre reprend sans cesse cette antienne : les débats politiques devraient permettre d’améliorer les relations entre le pouvoir et l’économie. Il n’en est malheureusement rien, et tous les candidats se livrent au constructivisme fiscal, comme le dit mon ami Jean-Philippe Delsol. Ils veulent nous construire une nouvelle fiscalité, parce qu’ils sont persuadés que plus d’impôts, plus progressifs, pénalisant par priorité riches, entreprenants et rentiers, restaureraient des finances publiques en ruines. Les candidats se livrent aussi au constructivisme commercial, le même que celui des mercantilistes des 16ème et 17ème siècles, le même que celui de Roosevelt, dont le résultat immanquable est non seulement de créer une dépression profonde, mais aussi de développer le nationalisme xénophobe ; après avoir été le concurrent déloyal, l’étranger devient l’ennemi et on finit par prendre les armes ; comme dans les années 1930. A trop parler de la « guerre économique », on habitue les esprits à l’idée de la guerre. Pâques, c’est au contraire un message d’universalité, de compréhension entre les peuples. Peut-il être entendu quelques jours ?

Les esprits devraient aussi être libérés quelques jours de l’obsession civique. Que signifie aujourd’hui en France être citoyen ? Le droit de vote ? C’est le droit de choisir sa servitude, puisque l’Etat Providence a transformé les citoyens en esclaves. Parlant de la Sécurité Sociale un siècle avant qu’elle n’existe, Frédéric Bastiat pronostiquait : « Les abus iront toujours croissant, et on reculera le redressement d’année en année, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du droit, de la propriété, de la liberté et de la justice ». Il nous faut donc abandonner un instant l’illusion que l’homme ou le parti providentiel pourrait améliorer durablement le sort du peuple, et nous rappeler que la politique ne peut servir qu’à garantir la liberté et la propriété en assurant leur sécurité. Mais les discours et surenchères sécuritaires démontrent précisément la faillite de la politique à assurer la sécurité, quand l’Etat s’occupe de tant d’autres choses et à si grands frais.

En prenant quelque recul, nous devrions admettre que tout ce qui se produit de désastreux depuis dix ans est dû au retour en force de l’Etat, des hommes de l’Etat, et partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, pays auquel la France a offert une statue représentant la liberté éclairant le monde et tenant dans sa main le livre du droit. Remettre cette image dans nos esprits devrait nous amener à voir la politique et les élections à la lumière de la statue, donc à considérer les résultats prochains comme mineurs par rapport au principe majeur pour lequel nous devons nous mobiliser : moins d’Etat, moins de politique, plus de liberté et plus de droit. Pâques serait une renaissance, une promesse.

Prendre ses distances à l’égard de la politique, c’est aussi mettre à sa place la religion. Sans doute les Chrétiens reconnaissent-ils avant tout dans Pâques la célébration de la résurrection du Christ. Ils ont besoin de cette trêve, comme du Carême, pour rester fidèles à leur baptême et renouveler leurs vœux. De même, la Pâque juive scelle-t-elle l’alliance de Dieu et de son peuple. Mais tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, chrétiens, juifs ou non, ne peuvent se détacher de la religion, de cette quête du sens de la vie et de cette recherche d’un épanouissement, d’un accomplissement personnel – ce que l’on appelle humanisme. Quelle place la religion occupe-t-elle aujourd’hui dans notre société française ?

Elle se vante d’être laïque, ce qui ne signifie plus respectueuse de la liberté religieuse, mais destructrice de toute religion. Une telle société est sans défense devant le fanatisme religieux, qui occupe toute la place laissée libre par le laïcisme. Mais une telle société rend aussi les êtres humains fragilisés, insatisfaits, condamnés à la peur ou à la servitude, sources de désespoir ou de violence. Certains ont voulu ainsi rayer Pâques, ou symboliquement le lundi de Pâques, pour aller plus loin encore dans la déchristianisation de la fille aînée de l’Eglise. Mais ils n’ont rien à proposer en face, sinon les illusions d’une « société sans classe » construite sur les ruines de la propriété et de la liberté. Pâques, ce n’est pas les œufs, les cloches et les poules en chocolat, ou la féria de Nîmes, c’est l’affirmation d’une foi qui a guidé les peuples vers la civilisation. La trêve devrait nous aider à dire « J’y crois ».

Bonne trêve, bonnes Pâques !

 

*Jacques Garello est un économiste libéral français, professeur émérite à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III. Il est fondateur du groupe des Nouveaux Economistes en 1978 et président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) depuis 1982. Il est également membre du Conseil d’administration de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF).

Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.

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