Aux « Grosses Têtes » sur RTL, Laurent Ruquier a cité cette phrase : « Le journalisme est un métier où on passe la moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire ce que l’on sait. » Seul Frantz-Olivier Giesbert était sur la piste de la bonne réponse, qui est Henri Béraud. Réaction de Francis Bergeron, président de l’Association rétaise des amis d’Henri Béraud.
La Gerbe d’or : souvenirs d’une enfance lyonnaise.
— Ruquier a donné quelques indices : journaliste et romancier né à Lyon, prix Goncourt 1922 pour Le Martyre de l’obèse, auteur de La Gerbe d’or, « passé de l’extrême gauche à l’extrême droite »… Cette formule n’est-elle pas approximative ?
— C’est évidemment une formule extrêmement approximative. Qualifier Béraud d’extrémiste de gauche ou d’extrémiste de droite ne correspond à rien. Tout au plus peut-on dire que, dans son très jeune âge, Henri Béraud, fils de boulanger, aimait bien brocarder les bourgeois lyonnais. Il avait aussi une vision vaguement romantique de la Révolution d’Octobre. Mais son reportage à Moscou l’a vite guéri ! Quant à son extrémisme de droite supposé, il est tout aussi fantaisiste. Oui, il a condamné violemment les morts de février 1934. Oui, il a soutenu le maréchal Pétain. Cela fait-il de lui un extrémiste de droite ? Tous ceux qui l’ont connu disent que c’était un homme entier, un passionné, qui d’ailleurs pouvait facilement se mettre en colère. Mais il n’a jamais varié dans sa défense des humbles et dans son patriotisme, spécialement enraciné dans le Lyonnais.
Le Martyre de l’Obèse a obtenu le Prix Goncourt en 1922.
— Arielle Dombasle, qui ne connaissait pas l’auteur, l’a néanmoins qualifié de « crapule » ; d’autres sociétaires, qui ne le connaissaient pas plus, de « salopard », « collabo ». Le tombereau d’insultes habituel ?
— Les salopards tenaient le micro, me semble-t-il. De Gaulle lui-même a reconnu qu’il n’avait pas collaboré, en le graciant. Apparemment la mère Dombasle et les autres obéissent à des réflexes de type purement pavlovien, puisqu’ils ont reconnu leur ignorance de l’œuvre de Béraud. Quand on ne sait pas de quoi on parle, il vaut mieux se taire.
— Frantz-Olivier Giesbert a conclu : « un fumier mais un bon écrivain ». Lui enverrez-vous le prochain Cahier publié par l’ARAHB afin qu’il affine sa connaissance de l’homme qu’était Béraud ?
— Non, car je suis à peu près certain qu’il n’enverra pas sa cotisation (qui reste fixée à 25 euros pour l’année 2017). J’en profite pour signaler que, à la suite de problèmes à répétition avec la poste de Loix-en-Ré, la nouvelle adresse de l’Association des Amis d’Henri Béraud est désormais la suivante : 15 rue du Parlement, 36 200 Saint-Marcel.
Propos recueillis par Samuel Martin – Présent
Si le nom d’Henri Béraud, écrivain et grand reporter, est bien oublié aujourd’hui, c’est en partie justifié. Collaborateur du journal d’extrême droite Gringoire, il mena une virulente et calomnieuse campagne de presse contre le député Roger Salengro qu’il accula au suicide.
Pendant la guerre ce redoutable polémiste ne cessa de vitupérer l’Angleterre. A la Libération, condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi il est gracié par le Général de Gaulle.
Mais Béraud n’a pas toujours été Béraud. Avant de sillonner l’Europe de l’entre deux guerres et d’en rapporter des articles qui font encore date aujourd’hui, ce « flâneur salarié » participa au Canard enchaîné où il livra bataille aux “planqués” de l’arrière et à leurs leaders, Maurras et Daudet, toute une clique nationaliste qu’il finira par rejoindre quinze ans plus tard…
Avec “Henri Béraud. Le Canard enchaîné. Ecrits 1916-1919”, les éditions du Lérot publient pour la première fois la totalité des écrits que le polémiste livra à l’hebdomadaire satirique entre le 13 septembre 1916 et le 23 juillet 1919.
Cette édition raisonnée et critique est richement illustrée de dessins et vignettes.
« Henri Béraud s’apprêtait à fêter ses trente et un ans et portait des galons de lieutenant au 48ème régiment d’artillerie de campagne lorsque, le 13 septembre 1916, son premier article fut publié dans le Canard enchaîné. Le Canard, fondé par Maurice Maréchal, renaissait juste de ses cendres, après son lancement manqué en 1915 », écrit dans sa préface Nicolas Brimo, l’actuel administrateur du « journal satirique paraissant le mercredi ».
Béraud participe à la toute jeune aventure du Volatile jusqu’au 23 juillet 1919 (n°160). La même année, attiré par les faramineuses promesses du patron de presse Eugène Merle, fondateur du Merle blanc, il quitte le Canard pour cet autre oiseau (cette collaboration s’arrêtera net en septembre 1920).
Pour Maurice Maréchal, fondateur du Canard enchaîné, ce départ est une véritable trahison… qui en annonce de pires. Comme l’écrivait Jean Egen (in Messieurs du Canard. Ed. Stock, 1973), « quelle admirable carrière eût faite le truculent polémiste s’il était resté fidèle à sa jeunesse et au Canard » .
Lorsqu’il débarque au Canard, en 1916, Béraud est mobilisé. Mais ce n’est pas un débutant ni un inconnu qui débarque le temps d’une courte permission. A Lyon, où il est né en 1885, il écrit dans plusieurs publications locales et, en 1904 (à l’age de 19 ans), avec Charles Dullin, il fonde une revue à laquelle collabore Albert Londres, son aîné d’un an. Ils sont amis depuis 1903.
Béraud a beaucoup publié, il est muni des recommandations d’Albert Londres et de ses amis anarchistes et socialistes révolutionnaires lyonnais comme Georges Pioch. Il eut aussi, précise Brimo, « un premier contact avec Victor Snell, rédacteur en chef du tout neuf Canard qui oeuvrait aussi à l’Humanité ». Comme le précise encore le préfacier de ce recueil, « le monde de la presse a toujours été petit, hier comme aujourd’hui ».
Béraud deviendra l’un des meilleurs grands reporters des années 30
Dès 1918, année de sa démobilisation, alors qu’il collabore au Canard, il donne déjà sa plume à l’Oeuvre, un journal de gauche, puis au Crapouillot de Jean Galtier-Boissière – ce vrai Crapouillot, marqué du sceau de l’anticonformisme, n’a rien à voir avec celui qui à partir des années 60 sera de plus en plus marqué à l’extrême droite (avec Autour du Crapouillot, les éditions du Lérot ont publié en 1998 un volume indispensable sur les relations amicales puis tempétueuses qu’entretenaient Henri Béraud et Jean Galtier-Boissière).
Pendant la guerre il écrit pour 13 revues et journaux. « Mais, notent Pierrette et Georges Dupont dans la note introductive qu’ils consacrent à ces écrits qu’ils ont réunis, c’est dans la presse parisienne quotidienne qu’il va essayer de s’introduire ». Il y parviendra et deviendra dans les années trente l’un des meilleurs grands reporters de cette époque.
Pierre Mac Orlan le comparait à Kessel et à Londres, tous de « grands professionnels de l’aventure sociale. » De 1919 à 1933, il est partout (sans jeu de mot) : dans l’Allemagne de Weimar, dans la Rome mussolinienne, à Athènes, en Albanie, dans Moscou la bolchévique, en Espagne, en Irlande pendant la révolution. Il en rapporte des moissons d’articles réunis en volume. Il trouve le temps d’écrire des romans.
« Polémiste, humoriste, chroniqueur judiciaire, courriériste, critique, le verre levé et l’injure en bandoulière, il déploie une activité dévorante ; il abat une masse de travail étonnante. Il croque la vie avec un appétit de goinfre » note le regretté Francis Lacassin dans sa postface au Flâneur salarié (10/18, 1985), indispensable recueil de certaines de ses explorations dans les coulisses d’une Europe tourmentée.
Il faudra bien un jour rééditer l’ensemble de ses sept reportages parus en volumes de 1925 à 1933 : Ce que j’ai vu à Moscou, à Berlin, à Rome, Emeutes en Espagne, Rendez-vous européens, le Feu qui couve, Vienne, clef du monde. Pour Lacassin, « ils constituent une photographie familière et précise de l’Europe de l’entre-deux-guerres. D’instantanée en instantanée, on y voit s’affirmer les signes avant-coureurs de l’explosion finale. »…
En 1916-1919, lorsque Béraud écrit pour le Canard, il n’est pas question de reportages, mais principalement de contes, un genre très prisé dans la presse de l’époque qui permettait de dire vrai sous l’apparence de la fiction. Le journaliste y déploie sa formidable énergie, son acuité, son sens du cocasse et de la formule, son ironie qu’il déploiera dans ses romans, notamment Le Vitriol de lune et Le Martyre de l’obèse – qui lui valurent tous deux le prix Goncourt 1922 – ou encore l’autobiographique La gerbe d’or (1928).
L’un de ces contes, l’Angoisse du mercanti (ou le Compte du tonneau), raconte l’histoire d’un épicier peu scrupuleux qui fait fortune sur le dos des poilus (ce qui ne lui porta pas chance). Dans La permission de Fils-du-Soleil, il parle avec truculence la langue fleurie du peuple : « C’étaient les châsses d’un Parigot ingénu et crâneur, d’un authentique citoyen des Batignolles, qui parle de bouffer les foies à tout le monde, et qui tremble devant sa concierge, et que sa bourgeoise enverrait, d’un signe, acheter chez l’épicier de la pierre à couteau dans une bouteille, ou du vitriol, dans un cornet de papier mou ». Un régal.
Dans le Canard enchaîné, Béraud exerce sa verve contre le bourrage de crâne
Mais lorsqu’il n’écrit pas de contes, c’est pour exercer sa verve contre le bourrage de crâne médiatisé par la plupart de ses confrères.
Et d’ironiser : « voici comment je m’y prends pour faire mon article : chaque après-midi, je stationne un bon quart d’heure devant le communiqué affiché par le Matin. Je me mêle aux braves gens qui sont là, et j’écoute. Je fais de même dans le métro, à l’apéritif, au restaurant. C’est bien le diable si, à dix-sept heures, je n’ai pas découvert, dans l’opinion publique, un conseil au gouvernement, qui est dans l’air. Je m’en empare. L’article est fait ! Et cet article, né de la pensée de tout le monde, il n’y a plus qu’à l’écrire dans le style de tout le monde »…
C’est son troisième et dernier article sous pseudonyme. Il est signé Gustave Henervé, un avatar assez transparent. Gustave Hervé était un homme politique qui passa insensiblement du socialisme jaurésien au fascisme. Antimilitariste avant la guerre il fut un ardent belliciste dès le mois d’août 1914…
Pendant sa période au Canard, Béraud n’aura de cesse de combattre Hervé, une de ses têtes de turc favorites, avec Clemenceau, mais surtout avec le trio constitué de Maurice Barrès, Charles Maurras et Léon Daudet. Il retrouvera ces deux derniers moins de deux décennies plus tard, au moment des ligues anti-parlementaires.
Après guerre, Béraud ne lâche pas sa proie et continue à pilonner l’adversité : « Léon Daudet s’engage pour la durée de la paix », écrit-il dans le Canard à peine deux jours après l’armistice. Le 20 novembre de la même année il constate ironiquement : « Hélas ! La paix s’abattant sur l’humanité a ruiné bien des espoirs, et brisé bien des situations »…
Mais la paix ne durera pas longtemps et, par un curieux renversement, Béraud fera partie de ceux-là qui voudront la guerre.
Un écrivain issu du peuple qui trahit sa classe
En septembre 1933, il publie son dernier reportage, Vienne clé du monde, dans le Petit Parisien, journal où excellera son ami Albert Londres mort dans un naufrage un an plus tôt. En janvier 1934,moment où éclate l’affaire Stavisky il commence à collaborer à Gringoire, journal qui soutient les ligues fascistes. Il se fâche avec ses anciens amis et s’en fait de nouveaux, bien moins recommandables.
En 1935 il publie son pamphlet Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ? En 1936, le député Roger Salengro se suicide, victime d’une campagne de presse orchestrée par Gringoire dont Béraud porte une large responsabilité. « La campagne contre Salengro restera comme une des tâches effroyables, une des hontes impardonnables d’une certaine presse », écrit Galtier-Boissière.
Toujours en 1936, « l’avènement du Front populaire (surnommé par Gringoire : Frente Crapular) offrit une cible idéale à ses plus truculentes et partiales fureurs, note Francis Lacassin. Il les accompagna hélas d’un antisémitisme rageur, insupportable, et imprévisible de la part d’un homme qui, dix ans plus tôt, en 1923, prononçait à Médan, un hommage à Zola en présence d’Alfred Dreyfus ».
En janvier 1937, Galtier-Boissière publie dans le Canard enchaîné une violente diatribe titrée « L’Obèse mondain » contre son ancien ami (reproduit en annexe d’Henri Béraud au Canard enchaîné, éd. Du Lérot) : « ce joyeux compagnon, grand videur de pots, était d’une verve étincelante, déboulonnant les fausses gloires et les cuistres, estoquant politiciens véreux et publicistes marrons, toujours prêts à prendre la défense du peuple contre les réacteurs de tout poil, à sa table de travail comme au cabaret, et jusqu’à l’heure où l’aube bleuissait le ciel entre les cheminées de la ville endormie.
Mais, tandis que Béraud lançait ses éclats de rire et ses coups de boutoir, une bizarre ambition le tenaillait secrètement. Qui l’eût cru ? Le pamphlétaire à la tripe républicaine qui revendiquait non sans quelque ostentation ses ascendances plébéiennes, nourrissait in petto l’ardent désir « d’être reçu »[…] le jovial obèse provincial rêvait de se métamorphoser en dandy et, en s’imposant dans les salons les plus fermés, de prendre une revanche sur le sort qui l’avait fait naître dans la roture ».
Béraud ne cesse ensuite de dénoncer la « conspiration judéo-bolcho-maçonnique responsable de tous les malheurs de la France, à commencer par la défaite de 1940 »(Francis Lacassin). Dans Gringoire, qu’il quitte en 1943, il ne se cesse de vitupérer l’Angleterre. En 1944 il sera condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi, c’est à dire avec l’Allemagne nazie.
« Si Béraud avait commis le crime pour lequel il a été condamné, son talent ne serait pas à mes yeux une excuse. Mais grâce à Dieu, et pour notre honneur à tous, Béraud n’a pas trahi » écrira courageusement François Mauriac. Il avait raison. En 1945 le général de Gaulle commue sa peine en travaux forcés à perpétuité. Sa santé se détériore. En 1950, Vincent Auriol lui accorde une grâce. Malade, il meurt en 1958.
Vingt ans avant sa mort, Galtier-Boissière, encore lui, écrit ce qui ressemble fort à l’épitaphe de Béraud : « Lamentable destin de l’homme en smoking trop longtemps sans emploi, du polémiste « aux dents longues », persévérant dans des campagnes dont il discernait toujours l’ignominie… jusqu’au jour affreux où les pieds lui ont glissé dans le sang ».
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