Polémiques autour de la réouverture du “Bal nègre”! (Vidéo)

La salle de spectacle « Le Bal Nègre » ouvrira au 33 rue Blomet à Paris en mars 2017. (…) Le restaurant La Table du Bal Nègre a déjà ouvert ses portes et la programmation des spectacles débutera en mars. Un piano à queue, un mobilier en bois sombre et de lourds fauteuils de cuir évoquent l’atmosphère des speakeasies de la prohibition. Le décor est planté, mais une question demeure : Pourquoi avoir choisi d’appeler l’établissement « Le Bal Nègre » ? Nous avons contacté Guillaume Cornut, pour le lui demander. (…)

Africultures – Pourquoi avoir baptisé votre établissement « Le Bal Nègre » ?
Guillaume Cornut – Je voue une immense admiration à la culture afro-américaine et à ce qu’elle a apporté au 20e siècle et à la culture des années 20. Au premier degré, en écartant toute polémique, c’est un nom magnifique, dansant, chantant et coloré. Ça m’évoque toutes les couleurs de la vie ! Et puis c’est un nom qui appartient au lieu. J’ai eu d’autres idées, mais c’est ce nom-là qui devait rester. C’est avant tout un nom historique.

Il y a très peu d’archives sur le Bal Nègre. Comment savez-vous par exemple que c’est l’enseigne d’origine ? Les Parisiens connaissent plutôt le lieu comme « l’ancien Bal de la rue Blomet ».
Le lieu s’est d’abord appelé « Le Bal Blomet » puis « Le Bal Colonial ». Ça, je ne l’aurais jamais choisi comme nom ! « Le Bal Colonial », c’est inacceptable comme nom, c’est très péjoratif ! On n’a pas de photo de l’enseigne, donc j’ai longtemps cru que c’était un surnom donné par Desnos. Un riverain m’a parlé du film Touchez pas au Grisby : on y voit Jean Gabin sortir du lieu, et sur la façade derrière lui il y a l’enseigne « Bal Nègre ». Et puis il y a trois semaines, un riverain qui était déjà là dans les années 50 a lui aussi fait référence à ce panneau.

Comment vous êtes-vous documenté sur l’histoire du Bal Nègre ? Sur votre site, on retrouve surtout les mêmes informations que dans l’article « Bal Nègre » de Wikipedia.
C’est moi qui ai écrit la fiche Wikipedia, donc ça s’est fait dans ce sens, je ne suis pas allé prendre des informations sur Wikipédia ! Pour me documenter, j’ai surtout lu la biographie d’Ernest Léardée La Biguine de l’Oncle Ben’s – car il était le visage de l’Oncle Ben’s. J’ai eu aussi le soutien de son épouse qui m’a raconté comment ça se passait. Et puis les enfants de Joséphine Baker sont venus. Je cite aussi Desnos, de Beauvoir. J’ai entendu beaucoup de témoignages de riverains. Et puis, n’oublions pas les 10 pages consacrées au Bal Nègre dans Je me souviens du 15e arrondissement de Béatrice Brasseur.

Et sur le mot « nègre » ?
Je ne me suis pas documenté sur ce mot, il est plus facilement accepté dans le contexte français. J’en suis resté à ce qu’étaient les années 20.

Alors, que mettez-vous exactement derrière le mot « nègre » ?
Attention, on parle d’une expression – « Le Bal Nègre » – pas d’un mot isolé. Si j’avais baptisé le lieu « Le Bal Blomet », j’aurais eu des critiques comme quoi je récupère le lieu et que du coup ça disparaît de la mémoire. Et puis, vous savez, je pense à Aimé Césaire, à Senghor et son poème « Femme Noire » [Il récite les premiers vers du poème]. La poésie a écrit des choses splendides sur cette couleur ! Même si ce mot est une insulte pour les Américains, il faut remettre ce nom dans son histoire, son origine, plutôt qu’essayer de le faire disparaître. C’est le racisme qu’il faut faire disparaître, pas le mot « nègre » !

Vous savez qu’en Amérique, on ne dit pas « nègre » mais « the N- word » ?
Ah ? Non, je ne le savais pas.

Et en France l’usage du mot « nègre » n’est pas politiquement correct. Le nom de votre lieu ne risque-t-il pas de faire débat ?
Si les gens préfèrent voir disparaître cela, tant pis j’arrêterai tout et je passerai à autre chose ! Le Bal Nègre, c’est une période, de 1924 à 1930, pendant laquelle toutes les classes sociales et couleurs de peau se retrouvaient dans ce lieu emblématique. Vous savez, pour moi cette entreprise est très difficile, c’est beaucoup d’épuisement à lutter contre des forces négatives.
Vous savez, un film se tourne ici sur Le Bal Nègre [NdA. Il s’agit du documentaire de Daniel Deleforges pour lequel le réalisateur a demandé à des artistes de performer au milieu du chantier de la rue Blomet]. Des musiciens de sang noir qui sont venus m’ont remercié pour cet immense hommage à la Négritude ! Il n’y en a pas un seul qui soit resté neutre ou méfiant. Il y en a d’ailleurs un qui m’a raconté l’histoire du mot « nègre » : ça vient d’un peuple qui vivait sur les bords du fleuve Niger, vous voyez, Niger a donné « nègre ». Il y a une histoire très ancienne à part les atrocités faite au peuple noir américain !
Et puis que ceux qui ne sont pas contents me disent où ils étaient entre 2006 et 2011, quand le lieu était à vendre et qu’on voulait y reconstruire des immeubles ?

Mais vous ne pensez pas que ça peut être offensant ?
J’aurais fait plus de mal à la communauté afro-américaine en supprimant ce nom qu’en le conservant. J’ai la conviction que ce que j’ai fait est positif pour la mémoire du lieu. Il y a eu des opposants au projet, certes, mais pour les travaux uniquement. Jamais personne ne s’est manifesté sur ce point là, y compris du coté des supports politiques de Droite comme de Gauche. Le Bal Nègre, c’est culturel, ça dépasse tout le reste. Si le nom devait disparaître, c’est un pan de la culture afro-américaine et antillaise qui viendrait à disparaître.
Il y a un exemple que j’adore pour la musique américaine, bien avant l’existence du Bal Nègre, c’est celui de Scott Joplin. Il très important car il a fondé une musique structurée, en mélangeant l’essence des rythmes afros et de la culture classique européenne. Ce fils d’esclaves affranchis a inventé le ragtime, qui a donné naissance au jazz ! Il est mort le 1er avril 1917 et nous allons programmer une soirée d’hommage au Bal Nègre. Sans le Bal Nègre, il n’y aurait pas d’hommage ! J’ai la satisfaction de contribuer à maintenir des choses positives pour les valeurs du 20ème siècle. Ce lieu a avant tout été un lieu de bonheur. Très honnêtement, pour moi la seule polémique possible pourrait venir de l’extrême droite !

Vous avez dit dans une interview que vous avez rencontré les « Antillais de Paris » au sujet du projet du Bal Nègre. Qui sont ces « Antillais de Paris » ?
Pour l’essentiel, je me suis adressé aux musiciens de sang noir qui sont passés ici et qui se sont intéressés au lieu. Il n’y en a pas tant que ça, je le reconnais. Peut-être parce que ce lieu était tombé dans l’oubli, et qu’ils ne connaissent pas la richesse de son histoire. C’est pourtant un lieu extraordinaire de l’histoire antillaise de Paris.

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