Rembrandt Bugatti


Dans la famille Bugatti, Rembrandt, frère du célèbre constructeur automobile, né le 16 octobre 1884 à Milan, est sans nul doute le plus doué de cette famille d’artistes. Ses sculptures animalières révèlent un talent extraordinaire et sont aujourd’hui très recherchées. Une santé défaillante et un état psychologique fragile pousseront ce génie solitaire et renfermé au suicide, à l’âge de 31 ans seulement.

Son prénom est choisi par son oncle, le peintre Giovanni Seguantini, “pour encourager le sort”. En famille, on le surnomme Pempa . Comme Ettore, l’enfance de Rembrandt est bercée par le milieu artistique et non-conformiste de la famille Bugatti, à cette différence près que sa mère, Teresa, reporte sur lui les frustrations de sa jeunesse dues à une santé fragile aggravée par la naissance difficile de Rembrandt. Agée d’à peine 30 ans, Teresa est obligée de se ménager et de mener une vie très calme et retirée, et son amertume ne cessera de croître. Malgré l’attitude très dure de sa mère envers lui, Rembrandt restera un fils aimant et respectueux, mais sera psychologiquement marqué à vie par ce manque affectif. En sa monographie sur Rembrandt Bugatti, Edward Horswell cite le poème de Rilke, « La panthère » (1907), à propos de la sculpture du « Jaguar tapi » (1908), œuvre créée au Jardin des Plantes à Paris, que Rilke hantait lui-même quelque temps auparavant.

L’animal permet au sculpteur une sorte de projection de son état d’âme : « On peut, selon toute apparence, à peine douter qu’il s’identifiait à ses sujets en captivité, y voyant une image de son isolement émotionnel. ». L’artiste libère par là même toute sa vigueur créatrice : « Quand Bugatti revint sérieusement aux animaux, les sculptures acquirent une profondeur et une résonance psychologique encore plus grandes. On aurait dit que l’étude de l’humain avait augmenté sa détermination à dépeindre les animaux en tant qu’individus animés d’une personnalité distincte et de bizarreries, d’une façon qu’il préférait ne pas explorer dans sa sculpture humaine. Il nous révèle de plus en plus jusqu’aux imperfections de chaque animal singulier, la queue sectionnée ou écourtée d’une panthère ou la patte cassée d’un cerf. Son travail porte davantage encore sur l’individualité de chaque sujet. »

L’animal se trouve la plupart du temps modelé en mouvement et il semble que, dans ce déploiement de son énergie, se révèle toute la puissance de son intériorité. C’est le vivant qui se manifeste dans la forme, non pas figée, même si elle est par la suite coulée dans le bronze, mais saisie dans l’instant. Edward Horswell parle d’une « passivité de plus en plus tournée vers l’intérieur et indépendante ». Rembrandt Bugatti cherche la beauté dans la vie et dans ses imperfections mêmes : « Jamais d’ailleurs il n’évita la pose maladroite ou l’espèce sans grâce dans l’espoir de créer des objets décoratifs populaires ou commerciaux pour les collectionneurs. ». Sa préoccupation formelle suit « le mouvement perpétuel de l’existence elle-même ».

En 1914, c’est la guerre. Rembrandt, ne pouvant être mobilisé en tant qu’étranger, s’engage comme brancardier volontaire dans une section Belge de la Croix Rouge établie au Zoo d’Anvers. La ville subit de lourds bombardements, les victimes sont innombrables et Rembrandt accomplit sa tâche avec un héroïsme qui lui vaudra d’être nommé Citoyen d’Honneur par la ville d’Anvers. Il est intéressant de noter que son père Carlo aura la même conduite héroïque au même moment à Pierrefonds.

Mais les horreurs de la guerre sont trop difficiles à supporter pour un Rembrandt à l’équilibre psychologique déjà fragile et il obtient, au moment de la débâcle fin 1914, grâce à son ami François Crozier, Consul Général de France à Anvers, un sauf-conduit qui lui permet de rejoindre l’Italie via la Hollande. Il passe quelques mois à Milan chez sa soeur Deanice (chez qui Ettore a également laissé sa famille), et tente de se faire incorporer dans l’armée de son pays natal. Mais sa classe d’âge n’est pas mobilisable et il s’installe à Paris à l’automne 1915, tout d’abord rue Magdebourg, puis rue Joseph Bara dans un atelier à Montparnasse. Malgré la guerre, et sans doute pour oublier toutes les horreurs dont il a été le témoin, Rembrandt se remet au travail. Ettore s’est également installé à Paris, dans son appartement du 20 rue Boissière, mais il travaille énormément à la création de ses moteurs d’avion, 8 puis 16 cylindres, destinés aux forces alliées. Malgré leur proximité, ils se voient peu. Rembrandt sculpte alors pour le Comte de Gramont un Christ grandeur nature, le “Christ en Croix”, qui sera à la fois son chef-d’oeuvre et une de ses dernières oeuvres.

Le samedi 8 janvier 1916, âgé de 31 ans, Rembrandt Bugatti met fin à ses jours en s’empoisonnant au gaz d’éclairage, après avoir assisté le matin même à une messe en l’Eglise de la Madeleine, à Paris. On le trouve dans son atelier de Montparnasse, étendu sur son lit dans une tenue de fête irréprochable. Un bouquet de violettes et deux lettres sont posées sur sa table de chevet : une pour le commissaire de police du quartier, l’autre pour son frère Ettore. Il meurt peu après son transfert à l’hôpital Laennec. Malgré son suicide, l’Eglise autorise des obsèques religieuses en l’église Notre Dame des Champs, dans le quartier de Saint Germain des Prés. Il est inhumé dans le caveau familial de Dorlisheim, tout à côté de Molsheim.

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