Heteromo
Egalité des genres et des sexualités dans le monde de l’éducation
Publication de l’interview de François Hollande
ÉVÉNEMENT. A une semaine du second tout de l’élection présidentielle, TÊTU.com* publie l’nterview accordée par François Hollande au magazine TÊTU le mois dernier.
Propos recueillis pour le numéro d’avril du magazine TÊTU, mis en vente le 21 mars 2012.
TÊTU : Le 23 février dernier, un auditeur de France Inter vous a interpellé pour savoir s’il pourrait se marier avec son compagnon d’ici à la fin de l’année. Quel sera votre calendrier concernant l’ouverture aux homosexuels du mariage et de l’adoption ?
Au plus tard au printemps 2013. _ Pourquoi cette date ? Parce que je sais que les premiers mois de la session parlementaire vont être essentiellement consacrés aux éléments de programmation financière, donc je préfère être honnête : si on veut un bon débat, mieux vaut qu’il puisse commencer au début de l’année 2013 et se terminer au printemps. Le printemps, ce n’est pas une mauvaise saison pour se marier ! [Sourire.]
Lors des primaires socialistes, vous aviez confié « en off » lors d’une interview à Libération : « Attention, ce ne sera pas simple de faire passer ces textes. »
Oui, et je continue de le dire. Vous avez vu ce qu’a dit le candidat sortant dans Le Figaro Magazine ?
Si l’on songe que la droite n’a jamais accepté le pacs durant de nombreuses années…
Concevoir qu’elle accepte maintenant facilement le mariage pour les homosexuels, c’est une vue de l’esprit.
Aucune loi de conquête n’a été arrachée sans combat parlementaire mais aussi citoyen, et c’est bien qu’il en soit ainsi. Les libertés, elles s’arrachent toujours.
Vous escomptez donc que ce projet rassemble au-delà d’une majorité de gauche ?
Je le souhaite ! Pour le pacs, à part quelques parlementaires courageux, dont madame Bachelot, nous n’avions eu guère de soutien.
Après, des regrets ont été exprimés, y compris de la part de Nicolas Sarkozy, qui en a fait le reproche à ses propres amis. Je n’ai pas le sentiment qu’il soit aujourd’hui dans la même philosophie…
La droite est très offensive sur le sujet, mais en même temps 63 % des Français soutiennent l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. On peut se demander si ce ne sont pas les responsables politiques qui sont en retard par rapport aux évolutions de la société…
Ça peut arriver que la politique soit en retard par rapport à la société. L’inverse aussi. Mais il y a des minorités qui sont très agissantes.
Il y a des forces culturelles, spirituelles, qui vont également se mettre en mouvement.
Regardez ce qui se passe en Espagne avec la volonté du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy de revenir sur la loi du gouvernement Zapatero qui a ouvert le mariage.
Mais je ne redoute rien, dès lors qu’il y a une volonté, la nôtre, et une compréhension affichée par une majorité de Français.
C’est un droit reconnu par de nombreux pays européens, nous ferons donc cette évolution tranquillement. Avec le souci de convaincre et de faire avancer la société française.
Nicolas Sarkozy justifie son opposition à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe au nom, dit-il, des « valeurs », et il expliquait dans Le Figaro
Magazine que : « En ces temps troublés où notre société a besoin de repères, je ne crois pas qu’il faille brouiller l’image de cette institution sociale qu’est le mariage. » Que vous inspirent ces propos ?
Le mariage, au contraire, sera consacré s’il est ouvert à tous. Il sera même renforcé ! Ceux qui sont attachés au mariage doivent se féliciter de voir que des couples homosexuels comme hétérosexuels se battent pour qu’il soit ouvert à tous.
Actuellement à l’Assemblée nationale, il n’y a qu’un seul député ouvertement gay, Franck Riester, de l’UMP, qui a fait son coming out récemment. On n’en compte aucun dans les rangs de gauche. Comment l’expliquez-vous ?
Bertrand Delanoë avait fait ce choix avant sa première candidature à la mairie de Paris…
Mais Bertrand Delanoë reste un peu seul…
Je me souviens aussi qu’André Labarrère [ancien maire de Pau, décédé en 2006] l’avait fait, et avec quel fracas ! [Sourire.] Après, c’est une affaire personnelle.
C’est une décision personnelle, mais ne dépend-elle pas, aussi, du climat dans lequel les élus ou les militants évoluent dans leur famille politique ?
Oui, mais au PS, cette question n’a jamais fait débat… Et n’a jamais conduit à préférer une candidature plutôt qu’une autre.
Globalement, ne trouvez-vous pas que les partis politiques français ont des difficultés pour intégrer les minorités, les différences ?
Cela a pu être vrai. Ça l’est beaucoup moins aujourd’hui.
À gauche, les partis sont tout à fait conscients que la société est diverse et que c’est un facteur de richesse.
Au sujet des débats sur le pacs puis le mariage, beaucoup de militants se sont mobilisés qui n’étaient pas homosexuels, et c’est très bien.
De la même manière, le combat pour le pacs est venu de groupes réunis au nom de l’idée républicaine d’égalité.
Il ne faut surtout pas réduire le mariage ouvert à tous à une revendication portée par les seuls homosexuels.
Plusieurs enquêtes montrent que jusqu’à 20 % des gays et lesbiennes seraient prêts à voter pour Marine Le Pen…
Cette intention peut surprendre. Mais cela vaut pour tous les citoyens. Pourquoi y a-t-il des Français qui ont le sentiment d’être abandonnés, délaissés, méprisés, stigmatisés, discriminés, et qui ont envie d’un cri de colère en le poussant de la pire des façons à mes yeux ?
Et ne pensez-vous pas que certains partis réactionnaires développent des discours démagogiques et clivants en direction des gays et des lesbiennes, en agitant notamment la peur de l’islam ?
En Europe du Nord, la crainte d’un islam fondamentaliste ouvertement hostile aux libertés a pu conduire certains vers des votes extrémistes.
Il y a eu cette instrumentalisation.
Aux homosexuels qui, ici, peuvent avoir la même crainte, je dis que c’est la laïcité qui les protégera. Je fais de la laïcité un élément majeur de mon projet.
La laïcité, c’est à la fois la liberté de conscience, la liberté religieuse et la garantie de la liberté : liberté de vie personnelle, égalité homme-femme et orientation sexuelle pleinement assumée.
Je ne lâcherai rien là-dessus. Sinon, cela ferait effectivement le jeu d’une extrême droite qui a toujours stigmatisé les homosexuels, une extrême droite qui les a moqués, les a parfois pourchassés. Ce serait un comble que, pour être protégé d’une dérive fondamentaliste, on se réfugie dans une dérive antirépublicaine.
Êtes-vous favorable à l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) aux couples de lesbiennes ?
Oui, je l’ai dit. Aux conditions d’âge, bien sûr. Je suis très précis là-dessus. Il faut que ce soit un projet parental.
Et je suis aussi très soucieux du respect de l’anonymat du don des gamètes. En revanche, je suis hostile à la gestation pour autrui, la GPA.
Seriez-vous néanmoins favorable à la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger ?
Vous imaginez bien que si j’ouvrais cette question-là, ça pourrait être finalement une facilité donnée à la gestation pour autrui. Et seul compte le droit de l’enfant.
Justement, des enfants nés ainsi se retrouvent actuellement en difficulté…
Je sais bien, et donc ce débat devra avoir lieu, mais il ne doit en aucun cas être considéré comme une façon d’accepter la marchandisation du corps.
Sur un autre point important, concernant le droit des personnes trans, quelles sont vos propositions ?
Je connais ce problème, des détresses immenses et parfois des suicides m’ont été signalés. Il faut également lutter contre cette discrimination-là.
Je suis pour la rectification de l’état civil lorsqu’il y a eu changement de sexe. Et également pour l’accès aux soins.
C’est-à-dire forcément une chirurgie ?
Pas nécessairement. C’est un processus qui peut, dans certaines hypothèses, être distinct du parcours médical accompagnant la transition vers l’autre sexe. C’est le sens des recommandations du Conseil de l’Europe notamment.
Et des expertises psychologiques ?
Oui. Ensuite, sur l’accès aux soins – car beaucoup de trans s’engagent dans un parcours médicalisé –, la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il conviendra de la corriger.
Êtes-vous pour un remboursement par la Sécurité sociale ?
Pour partie. Il n’y a pas de raison de donner une gratuité totale à ce qui est un choix individuel.
Quelles sont, au-delà des incantations, vos propositions concrètes pour lutter contre l’homophobie ?
Les grands principes comptent, déjà. D’abord commençons par l’école, car c’est là aussi que beaucoup se joue et que des personnes homosexuelles peuvent toute leur vie durant porter un fardeau fait d’humiliations, de mépris, de méconnaissances.
À quel âge pensez-vous que cela doit commencer ?
Au collège, parce que c’est à ce moment-là que ces questions se posent pour les adolescents.
Le dessin animé Le Baiser de la Lune, qui mettait en scène une histoire d’amour entre deux poissons de même sexe et était destiné aux classes de primaire, avait déclenché une polémique…
Oui, je me souviens. Je veux rétablir la formation des enseignants.
C’est très important qu’ils puissent savoir, aussi bien en primaire qu’au second degré, ce qu’il est possible de dire aux enfants.
On ne parle pas de la même manière à un enfant en primaire, où la connotation sexuelle n’est pas du tout présente, qu’en secondaire, où elle commence à apparaître.
C’est une forme à la fois d’enseignement de la réalité, et en même temps de pédagogie qui appelle de la sensibilité.
Les clichés, les insultes homophobes commencent très jeune, bien avant la sexualité…
Oui, c’est vrai. La lutte contre les clichés peut commencer très vite.
Il y aussi la situation dans le monde du travail qui doit être améliorée.
Le rôle des syndicats, des assistantes sociales et des médecins du travail, est très important.
Face à la polémique menée par la Droite populaire et des associations catholiques contre l’introduction des questions de genre dans les manuels scolaires de classe de première, le ministre Luc Chatel a tenu bon.
C’est bien qu’il ait tenu. C’était une offensive très idéologique, car elle niait même le fait qu’il existe des genres ! Donc, poursuivons ce mouvement de sensibilisation avec tous les moyens utiles.
Vous avez fait de la jeunesse un des axes centraux de votre campagne. Que proposez-vous pour améliorer l’autonomie des jeunes adultes ?
Des enquêtes ont démontré une surreprésentation des jeunes LGBT dans les populations en errance…
Effectivement, parfois des ruptures familiales peuvent avoir lieu beaucoup plus tôt encore que pour d’autres jeunes.
Et la recherche de logement devient la première préoccupation, car c’est une difficulté de plus pour une personne seule ou vivant en couple homosexuel.
Je suis favorable à un système de mutualisation des cautions, de façon que de plus en plus de jeunes ne puissent pas être empêchés de fonder un couple ou d’accéder à l’autonomie.
Deuxièmement, je souhaite que les jeunes puissent rentrer plus tôt dans l’emploi, c’est mon idée de « contrat de génération ».
Qu’il puisse y avoir, entre un senior et un jeune, une transmission d’expérience, et un soutien à l’employeur qui permettra à un jeune de rentrer dans le monde du travail en bénéficiant d’un CDI.
Enfin, je suis pour des parcours d’insertion, des systèmes de bourse, des contrats d’autonomie, qui puissent ouvrir des formations à ces jeunes.
Enfin, je suis très préoccupé par la déscolarisation de certains qui partent très tôt de chez leurs parents.
C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’engagement qu’aucun jeune entre 16 et 18 ans ne se retrouve sans solution.
Le service civique peut en fournir une, par exemple. Que les jeunes ne se retrouvent pas dans la rue et dans la désespérance.
L’éducation sexuelle reste focalisée sur la reproduction. N’est-ce pas réducteur ?
L’éducation aux risques est une absolue nécessité. Elle a été relâchée ces dernières années. Le sida se diffuse encore, notamment chez les homosexuels. Malheureusement, l’idée que le fléau a été enrayé fait qu’il y a plus d’imprudences. Nous devons donner les éléments qui permettent à chacun d’avoir sa sexualité sans se faire contaminer un jour. Il y a toujours eu une réticence des pouvoirs publics en France à faire des campagnes de prévention VIH ciblées sur les populations homos… Je ne partage pas cette réticence qui peut être fondée sur de bons motifs de non discrimination… Mais dès lors que le risque est plus grand dans les populations homosexuelles masculines, mieux vaut le dire, parce que des jeunes peuvent l’ignorer encore.
Est-ce que vous imposeriez aux médecins généralistes l’utilisation des tests de dépistage rapides ? Que prévoyez-vous concernant une possible généralisation de ces tests, comme en Espagne dans les pharmacies ? Et troisièmement, allez-vous appliquer le « plan sida » proposé par Roselyne Bachelot, qui a promis un financement de 1,08 milliard d’euros, vu les circonstances budgétaires ?
En matière de prévention, le rôle des associations est déterminant. Je veux saluer ici tout ce qu’engagent Act Up, Aides, Sida Info Service…
Car ce sont elles qui permettent aujourd’hui de diffuser le dépistage, de donner l’information et d’accueillir. Le dépistage doit être généralisé. J’ai participé à une opération de cars de dépistage – c’était Aides qui l’organisait –, qui se rendaient au plus près de la vie des Français pour leur proposer ce test qui est très simple. À chaque fois qu’il y a une inquiétude, mieux vaut aller faire le test que de continuer à porter cette interrogation. Enfin, je suis attentif à certaines populations qui sont plus exposées, les personnes dans les prisons, où il est nécessaire de renforcer les dispositifs de dépistage, et les populations migrantes, notamment les sans-papiers qui, par crainte de se faire connaître, peuvent ne pas se faire dépister ou soigner. Je suis pour le retour de l’aide médicale d’État, l’AME, qui nous permettra, nous citoyens français ou résidents réguliers, d’être protégés plutôt que d’être exposés.
La situation aux Antilles vous paraît-elle préoccupante ? Oui, à plus d’un titre : 60 % des jeunes au chômage, vie chère, violence qui s’est aggravée dans les régions d’outre-mer, et encore des préjugés nombreux par rapport aux orientations sexuelles.
Vous évoquez l’AME, quelles seront vos priorités concernant la politique de santé ? Comptez-vous abolir les franchises médicales ? Je suis conscient que nous devons maîtriser les comptes publics et sociaux, et en même temps, l’hôpital public doit être renforcé dans ses missions. La médecine de ville doit mieux travailler à la fois avec l’hôpital et avec les autres professions de santé. Il est légitime de mieux rémunérer les médecins. Sur les franchises, nous en discuterons car nous avons plusieurs problèmes à régler : problèmes de dépassement d’honoraires, les mutuelles qui ont été taxées, les franchises, le prix des médicaments…
Au niveau international, quels sont vos engagements pour faciliter l’accès aux traitements dans les pays pauvres ?
Je suis favorable aux médicaments génériques. Nous avons besoin d’une politique internationale sur ce sujet.
Nous sommes tous concernés, quand un virus se développe dans une partie de la planète, nous finissons par être touchés.
Autre point important, la dépénalisation de l’homosexualité dans tous les pays du monde, c’est un enjeu essentiel en matière des droits de la personne.
Que pensez-vous de la proposition du Premier ministre britannique David Cameron de conditionner l’aide au développement au respect de tous les droits humains, y compris le respect des minorités LGBT ?
C’est un bon principe. Là encore, ça dépasse les frontières nationales et idéologiques.
Sans mettre en cause les règles de chacun de ces pays, car en définitive, nous ne leur demandons rien d’autre que de lever une pénalisation qui est tout à fait inadmissible puisqu’elle est fondée sur la négation d’une liberté. Nous devons être fermes sur ce principe-là.
Y aura-t-il une action diplomatique à l’ONU, comme l’ont fait Nicolas Sarkozy et Rama Yade ?
Nous n’aurons pas de mal à aller plus loin que ce qu’a fait Nicolas Sarkozy. Ce qu’il a commencé et pas terminé, nous l’amplifierons et j’espère que nous l’achèverons jusqu’à essayer de faire voter une résolution.
Au printemps dernier, Arnaud Montebourg nous expliquait qu’il ne faisait pas « de l’identification des questions sociétales l’enjeu majeur de l’élection présidentielle », sa priorité étant « d’apporter de nouvelles propositions pour transformer l’économie ». Séparer ces enjeux n’est-ce pas en réalité une erreur ?
Moi, je suis pour le progrès. Pour qu’une élection présidentielle puisse faire avancer la France. Puisque nous sommes confrontés à un choix, que cela soit celui qui nous donne la fierté de vivre ensemble, c’est mon ambition.
Qu’au bout de cinq ans, nous soyons encore plus fiers d’être Français que nous ne le sommes aujourd’hui.
Comment y parvenir ? D’abord en permettant à tous nos concitoyens de travailler, d’être autonomes, de pouvoir accéder à de meilleures conditions au logement, d’être mieux soignés.
Et le progrès, c’est aussi vivre en plus grande liberté, en plus grande sécurité, en plus grande sûreté, en harmonie. Et parmi ces progrès, il y a la reconnaissance de droits qui peuvent être une meilleure protection à l’égard d’un certain nombre de risques, que cela soit des risques sanitaires ou de violence. Je disais combien la laïcité et la liberté devaient être protégées, ce qui suppose de lutter contre toutes violences.
Une société avance globalement. Les plus belles périodes de notre histoire sont celles où les conquêtes ont été multiples : économiques, sociales, sociétales.
Je veux remettre le pays en mouvement pour que chacun se sente partie prenante. Les Français n’accepteront pas tout ce que je proposerai, mais dès lors qu’ils verront le but, qui est l’harmonie, la réconciliation, le rassemblement, ils y participeront.
* Têtu, le site du magazine gay ( sic).