«L’interpellation ultra-médiatisée d’Éric Drouet sera incomprise et va creuser un peu plus le fossé entre la police et la population»
Lors de ses vœux, Emmanuel Macron a déclaré que « l’ordre sera[it] assuré sans complaisance ». Vous aviez dénoncé cette parole. Pourquoi ?
Dire que l’ordre public sera assuré sans complaisance, c’est, quelque part, laisser penser qu’il y aurait eu un certain laxisme jusqu’à présent dans le maintien de celui-ci. Je rappelle que plusieurs manifestants ont été mutilés lors des opérations de maintien de l’ordre par l’emploi d’armes de force intermédiaire comme les LBD (lanceurs de balle de défense) et les grenades de désencerclement. Parmi ces victimes, il y a des gilets jaunes pacifiques s’étant retrouvés au milieu de casseurs. En 2005, lors des émeutes de banlieues, il n’y a eu aucun blessé recensé du côté des casseurs alors qu’environ 80 de mes collègues ont été touchés par des tirs d’armes à feu. La première préoccupation de notre syndicat de police est la sécurité de nos personnels. Nous défendrons toujours des orientations allant dans ce sens. Mais, très clairement, France Police-Policiers en colère ne peut pas s’accommoder de voir des manifestants pacifiques quitter une manifestation sur une civière avec un œil ou une main en moins. En maintien de l’ordre, l’emploi des armes de force intermédiaire est encadré par l’autorité administrative. Il ne m’appartient pas de dire si l’usage a été systématiquement proportionné ou non. Mais perdre un œil, une main ou avoir un poumon perforé par un élément d’une GLI-F4, ça s’apparente à des blessures qu’on constate en zone de guerre. Personnellement, en vingt ans de police, je n’ai jamais vu cela.
Votre syndicat s’est également ému de l’arrestation d’Éric Drouet. C’est le principe même de cette arrestation que vous dénoncez ?
D’un point de vue juridique, l’interpellation d’Éric Drouet est légale. Mais notre syndicat s’étonne que, pour un simple rassemblement de quelques dizaines de personnes voulant juste poser des bougies en hommage à des victimes, les autorités envoient autant d’effectifs et fassent procéder à une interpellation sous cette forme très médiatique. Lorsqu’on voit les problèmes d’effectifs que nous avons dans certains quartiers et les moyens humains que la préfecture de police est capable de déployer sur Paris, ça laisse songeur. Comparativement à l’interpellation d’Éric Drouet, des centaines de points de vente de stupéfiants tenus par des dealers aux pieds des barres d’immeubles empoisonnent la vie des habitants de ces quartiers. Mais là, curieusement, la puissance publique est incapable de rétablir l’ordre public. Cette interpellation ultra-médiatisée restera incomprise par une majorité de l’opinion publique et va creuser un peu plus le fossé entre la police et la population.
De manière générale, comment ce mouvement des gilets jaunes va évoluer, selon vous, et quelle réponse politique devrait être apportée ?
Je n’ai pas de boule de cristal, mais il y a une radicalisation de certains gilets jaunes. Cette radicalisation est en partie due à la répression policière et aux nombreux blessés côté gilets jaunes. La plupart des casseurs, les vrais, n’ont pas été inquiétés. Ils ne manqueront pas de venir à nouveau semer le désordre au milieu des gilets jaunes si de prochains rassemblements sont organisés. Si le gouvernement cédait sur le RIC, notre syndicat pense que ça mettrait un terme aux manifestations. En outre, France Police-Policiers en colère est favorable à cette évolution démocratique.
Les Policiers en colère vont-ils à nouveau se mobiliser dans des manifestations ?
Là encore, je n’ai pas de boule de cristal, mais la situation au sein des forces de l’ordre est explosive. Le gouvernement, en cheville avec Unité SGP Police FO, Alliance CGC et l’UNSA-Police, a tenté de calmer la grogne chez nous avec la signature d’un protocole d’accord faisant croire aux collègues qu’ils allaient gagner 120 euros de plus par mois, ce qui est totalement faux. Ce protocole est une vaste fumisterie. Le gouvernement compte également s’attaquer prochainement au statut spécial de la fonction publique et retoucher à nouveau aux régimes de retraite. Je pense que le Président Macron a compris qu’il ne sera pas réélu. Aussi, il lui reste trois ans pour passer en force toutes les réformes dont rêvent le FMI, Bruxelles, la BCE, le CAC 40 et le MEDEF. Quand nos collègues, comme beaucoup de Français, vont s’apercevoir de la supercherie, il y aura forcément une réaction sociale. France Police-Policiers en colère prône une réaction démocratique par la voie des urnes au travers du dialogue social dans le cadre du paritarisme. Les grandes manifestations policières spontanées et improvisées lancées en 2016 suite à l’attaque de nos collègues aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon n’ont rien apporté, ni sur le plan social ni sur le plan sociétal. C’est un échec cuisant. Mais même sans mot d’ordre syndical ou associatif, à n’importe quel moment, on peut revivre ce qu’on a connu en 2016 avec des policiers dans la rue. C’est certain.