Les lendemains de fête sont parfois difficiles. Dangereux, même. Surtout si on a la réputation d’être une grande gueule, et qu’on néglige de se relire. C’est peut-être ce qui est arrivé à Guy Verhofstadt, qui vient de confier une tribune au Monde. Pour les cancres européens, rappelons que l’ancien Premier ministre belge est considéré comme l’un des ténors de l’europarlement où il préside le groupe libéral. Il est surtout connu pour son engagement échevelé en faveur d’une Union européenne fédérale, et, à l’instar de nombre de ses collègues, il a une explication et une solution à tous les problèmes : «Il faut plus d’Europe.»
Mais, dès la dernière bouchée de bûche avalée, c’est à un autre thème, intimement lié et tout aussi original, qu’il a consacré ses vœux. La dernière phrase de son texte résume élégamment la priorité qu’il exhorte l’UE de décréter : «En 2017, nous devrons attaquer de front – et faire échouer – ses tactiques.» Est-il bien nécessaire de préciser que l’adversaire désigné n’est autre que le président russe ?
Armons-nous et partons, donc, car «cette année nous a rendus pleinement conscients de l’ampleur du défi que pose Poutine pour la démocratie occidentale». Pour l’heure cependant, faute de chars, missiles et bombardiers communautaires qui n’existent pas encore – et Dieu sait combien Guy le déplore ! – ce n’est pas d’une offensive militaire qu’il est question, mais d’une guerre médiatique.
Bien sûr, M. Verhofstadt n’a aucun doute sur l’origine des piratages informatiques, des fausses informations et autres propagandes honteuses qui ont décidé du prochain locataire de la Maison-Blanche, et risquent bien de prendre cette année en otage les citoyens néerlandais, français, puis allemands : «Le FBI et la CIA ont tous deux conclu que la Russie a mené une campagne […] visant à influencer l’élection présidentielle américaine en faveur de Donald Trump.» Si ces deux sources aussi neutres que dissemblables l’affirment, il ne peut plus exister aucun doute.
Récidivistes, ces Russes qui avaient déjà imposé le Brexit «en accordant aux politiciens du UKIP des espaces d’expression aux heures de grande écoute sur la chaîne financée par l’Etat russe, Russia Today». Où l’on apprend donc incidemment que ladite chaîne est devenue un média de masse avec heures de grande écoute.
«Dans l’Union européenne, des milliers de faux sites d’information sont apparus, dont beaucoup présentent une propriété douteuse», poursuit l’auteur. «Douteuse», donc russe. On notera bien : «des milliers». Et ce n’est pas tout : «le Kremlin a dépensé des centaines de millions de dollars pour financer des outils de propagande comme l’agence de “presse” Sputnik». On savourera les guillemets qui enserrent délicatement le terme «presse», car nul n’ignore que la seule traduction possible de «journalisme», en russe, est naturellement «propagande».
L’europarlementaire est d’ailleurs estomaqué que Moscou dépense ainsi sans compter «alors que l’économie russe est en train d’imploser». «Imploser» : voilà pour le coup une information certainement pesée, recoupée, et de la plus haute importance. On ne nous dit pas tout, décidément.
Bref, la mission de ladite propagande russe est aussi simple qu’abominable : «Saper la confiance en les autorités démocratiques occidentales.» Une intention proprement révoltante alors même qu’aux quatre coins de l’UE, les peuples voueraient une admiration sans borne à leurs gouvernements et plus encore à Bruxelles s’il n’y avait pas cette satanée influence moscovite.
Une influence qui est même «révisionniste», nous alerte Guy Verhostadt. Car elle affirme que «seule la Russie a remporté la Seconde Guerre mondiale». Hélas, faute de place très certainement, le quotidien du soir a coupé la note de bas de page qui aurait donné les références d’une telle affirmation. Ce qui n’aurait pas été inutile, surtout si l’on se souvient que Vladimir Poutine s’était rendu, en 2014, aux commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement allié en Normandie (en revanche, aucun chef d’Etat occidental n’avait jugé opportun de faire un saut sur la Place Rouge, en 2015, lorsque furent célébrés les soixante-dix ans de l’écrasement du nazisme et le rôle qu’y joua l’Union soviétique).
Pire encore sont ces «théories du complot» promues en sous-main par Moscou qui «accusent l’Occident […] d’inciter à la guerre en Ukraine». C’est drôle, on se souvenait plutôt des dirigeants occidentaux qui se pressaient sur la place Maïdan pour inciter les manifestants à l’insurrection. Pas seulement des personnalités de premier plan, mais aussi un certain Guy Verhofstatdt, qui haranguait ainsi la foule le 21 février 2014 : «Vous défendez les valeurs européennes, […] nous sommes derrière votre cause, derrière votre combat.» Quelques jours plus tard, le président ukrainien (légalement élu) était chassé par la force.
Ce qui n’empêche pas notre homme d’être aujourd’hui révulsé par toute immixtion dans les affaires des autres : «L’UE et l’OTAN […] doivent signifier à Poutine que toute ingérence étrangère dans des élections nationales aura de graves conséquences pour les intérêts économiques russes» (qu’on croyait être déjà en train d’imploser – allez comprendre !).
Mais là où Guy touche au sublime, c’est dans son ultime proposition : «L’Occident devrait promouvoir la liberté des médias, récompenser leur responsabilité, et fournir des moyens juridiques de fermer les canaux de désinformation systémiques.» Si les mots ont un sens, la promotion de la liberté de la presse passe donc par le financement des médias méritants, et l’interdiction de ceux qui déplaisent.
C’est sans doute ce que l’auteur nomme : «Défendre les valeurs européennes». Ce qui a au moins le mérite d’éclairer la véritable nature de celles-ci.