L’idée que défend Marc Rousset se devine dès le titre de son livre. Il s’agit d’opposer aux valeurs de l’argent, en d’autres termes au culte de la richesse et de l’enrichissement, les valeurs de l’honneur et de l’héroïsme. D’un mot peut-être plus modeste, on pourrait parler de la vertu : la vertu civique et la vertu individuelle.
Dans une première partie de son livre, Marc Rousset analyse le rapport de philosophes et d’écrivains à la question de l’argent. Il étudie ensuite le concept d’argent sous différents angles : les conditions de son utilité, sa fonction économique. Dans une seconde partie, l’auteur développe ce qu’est la vision du héros chez écrivains et philosophes. C’est le contrepoint à la première partie. Le concept de héros est ensuite passé au crible.
Marc Rousset est un critique de « l’anarcho-capitalisme ultra-libéral » (Dany Robert Dufour) qui culmine dans le « Mondialisme immigrationniste marchand » évoqué par Jean-Yves Le Gallou. L’auteur veut opposer la vertu et l’honneur à l’argent, le Sang à l’Or. Il ne dit pas que l’on peut se passer de l’argent. Il veut le domestiquer, le faire servir et non le servir. Marc Rousset oppose les nations aux marchands, la culture à l’esprit de lucre, le bien commun à l’intérêt individuel, la communauté nationale à l’égoïsme de l’individu sans racine, le sacrifice à l’hédonisme.
Face à l’argent « vrai Saint-Esprit plus précieux que du sang » (Céline), face à la « mcdonaldisation du monde », Marc Rousset rappelle les exigences de l’éthique et d’une nécessaire verticalité, exigences que l’on trouve aussi bien chez Goethe que chez Saint-Exupéry et Dominique Venner.
Fernand Braudel admirait l’œuvre de Werner Sombart, et notamment Le capitalisme moderne (dont la première édition est de 1902 et la dernière édition révisée de 1928). La définition par Sombart de « l’outillage mental » (l’expression est de Lucien Febvre) qui a permis le capitalisme paraissait d’une grande importance à Braudel, auteur lui-même de la trilogie Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècle. Dans ces analyses de ce qui a permis le décollage et le déploiement du capitalisme, l’apport de Werner Sombart (1863-1941) et plus largement de la Jeune école historique allemande est central. Cette école est avant tout une école d’histoire économique. Sombart en marque la culmination intellectuelle. Longtemps marxiste, et pourtant éloigné du matérialisme historique, et assumant ce paradoxe intellectuel apparent, Sombart évoluera vers une position critique vis-à-vis du marxisme, mais restera nuancé (Marx n’étant du reste jamais réductible aux différents marxismes). On ne peut manquer d’évoquer la nécessité de consulter au sujet de Werner Sombart le maître-livre d’Alain de Benoist Quatre figures de la révolution conservatrice allemande (2014).
Sombart est la principale source d’inspiration de Marc Rousset. Il s’appuie plus précisément sur l’ouvrage Marchands et Héros (Händler und Helden), publié en 1915 (*) et jamais traduit en français (disponible en allemand sur https://archive.org). Paru en pleine guerre, ce livre de combat, mais, par cela même, radicalisant les perspectives, exaltait la figure de l’Allemand d’esprit guerrier et l’opposait à celle de l’Anglais commerçant. Il s’agissait bien sûr d’établir une typologie. Pour Sombart, le marchand et le héros constituent « les deux pôles de l’orientation humaine ». Le marchand veut prendre, le héros est prêt à donner. En ce sens, le marchand, même devenu riche, reste toujours pauvre, tandis que le héros, même peu fortuné, est toujours riche de sa générosité. C’est en fait un choc de conceptions du monde. Comme écrit Sombart, « toutes les grandes guerres sont des guerres de religion ». C’est-à-dire des affrontements de visions du monde. Une mise en perspective qui complète celle de l’opposition de la terre et de la mer.
Ce fort volume de Marc Rousset est le premier tome d’une trilogie.
Pierre Le Vigan – Polémia
Marc Rousset, Adieu l’argent-roi. Place aux héros européens ! Critique de la civilisation de l’argent. Apologie de l’héroïsme, éd. Godefroy de Bouillon, Septembre 2016, 490 pages, 37 €