Le 3 janvier, c’est un peu comme le 11 septembre : de manière récurrente sur Internet fleurissent tantôt théorie du complot tantôt théorie du bouc émissaire. Dans l’affaire qui touche à la Banque de France, on nage en plein délire. L’article de Florian Toumit est de cette veine-là. D’après cet auteur, depuis 1973 la Banque centrale (BdF puis BCE) prêterait aux banques privées à 1 %, qui à leur tour prêteraient à l’État à 4 %, encaissant en passant une marge de 3 %. C’est pur fantasme. Premièrement, le refinancement à 1 % (LTRO) date de 2012 et pas de 1973. Deuxièmement, depuis que cette facilité existe, le taux moyen des emprunts d’État (TME) n’a cessé de baisser, de 3 % à environ 1.2 % aujourd’hui. Troisièmement, à durées d’emprunt égales, les banques ont toujours dû servir aux prêteurs un intérêt plus élevé que l’État, en conséquence de quoi, pour réaliser une marge sur l’acquisition d’obligations d’État, les banques doivent prendre un risque de transformation. C’est-à-dire financer par un emprunt à court terme un prêt à long terme, avec le risque de voir le taux du premier monter au-dessus du taux du second. Conclusion : le financement de l’État par les banques privées n’a jamais été pour ces dernières une activité lucrative dans la durée mais plutôt une affaire de prestige, avec des périodes de bénéfices succédant à des périodes de pertes.
Plus loin, on y lit que les Français auraient interdiction d’acheter la dette de leur propre État. Là aussi, c’est pur fantasme. Non seulement ils le peuvent – directement sur le marché primaire s’ils sont capables de supporter un ticket d’entrée de quelques millions d’euros ou indirectement en achetant une part de SICAV obligataire – mais en plus ils en sont, et de loin, les principaux détenteurs (hormis la part détenue par les investisseurs non-résidents).
Je passe sur la référence à De Gaulle. Hormis que ces deux notions – le dollar et la participation – n’ont absolument aucun lien entre elles, on ne voit pas ce qu’elles viennent faire dans un débat sur la dette publique française, si ce n’est pour s’abriter gratuitement et hors de propos derrière la figure du Général. Quant à la lettre datée de 1863 et prétendument signée des frères Rothschild faisant allusion à un mystérieux système, je me demande si un seul lecteur de Boulevard Voltaire a compris de quoi il s’agissait. Moi pas.
Plus généralement, le lien entre dette publique et taux d’intérêt est complexe car il est double et ambigu. Tout d’abord, il ne dépend pas du taux nominal des emprunts d’État mais de leur taux réel, c’est-à-dire du taux nominal corrigé du taux de croissance brute de l’économie (taux de croissance + inflation). Chacun comprendra que c’est la croissance (inflation comprise) qui apporte à l’État les ressources nécessaires pour rembourser ses emprunts. Plus le taux réel s’élève et plus la dette risque de faire boule de neige, peu importe si l’État emprunte à sa banque centrale à un taux nominal de 1 % ou sur le marché à 5 %. Mais, a contrario, plus le taux réel s’élève et moins un emprunteur est enclin à s’endetter. Et c’est ici que ça se complique. Dans le cas d’un emprunteur privé qui se comporte rationnellement, cette relation est parfaitement vérifiée. C’est bien pour ça que les banques centrales remontent les taux pour ralentir une économie en surchauffe et les baissent pour relancer la croissance. Dans le cas d’un État, cela ne marche pas toujours, et dans le cas de la France pour ainsi dire jamais. La différence vient du fait que la dette de l’État n’est pas la dette personnelle de ceux qui détiennent le pouvoir de décision. C’est ici qu’intervient une variable qui n’est plus du domaine de l’économie mais de la politique et de la morale : la responsabilité.
En clair, oubliez la loi de 73 ! La dette publique française n’a qu’une seule et unique cause : l’irresponsabilité de nos gouvernants depuis Raymond Barre.