Les éditions Auda Isarn poursuivent méthodiquement le déploiement de cette nouvelle collection de romans policiers sous pavillon du Lys noir. Le troisième titre vient de paraître. Il s’agit en fait de la réédition d’un roman édité en janvier 1944, mais au tirage tout à fait confidentiel, à l’époque.
Il faut dire aussi que la date ne se prêtait guère aux gros investissements publicitaires, de la part d’un éditeur parisien, dans le contexte d’une occupation qui devenait nerveuse, d’une résistance qui se faisait sanglante, de bombardements nocturnes fréquents et d’un débarquement que l’on disait imminent. En outre l’auteur, Madeleine Charnaux, était morte d’un cancer trois mois tout juste avant la parution du livre.
Pourtant ce roman, qui n’a donc pas trouvé son public il y a trois quarts de siècle, est un bon roman. Il se situe davantage dans la tradition d’Agatha Christie que de Frédéric Dard ou de James Hadley Chase. Une aviatrice se tue lors d’une démonstration aérienne. Accident ? Sabotage ? Et si c’est un sabotage, quel en est le mobile ? Les soupçons se portent sur l’amant, un officier français héros de la guerre de 14, mais aussi sur l’ex-mari, dont l’aviatrice était divorcée, un « demi-sel », comme on disait alors, sur le mécano, tout récemment recruté, et sur quelques autres. C’est l’époque aussi du Front populaire, et le parti communiste organisait des malfaçons dans les usines et des destructions volontaires de matériel, au nom de la lutte contre les 200 familles.
La grande originalité du livre, c’est qu’il se situe dans le contexte politique de l’époque et dans le milieu de l’aviation. L’auteur démontre sa parfaite culture politique et une connaissance particulièrement pointue du monde de la performance aérienne. Rien d’étonnant, quand on sait que Madeleine Charnaux n’était autre, à la ville, que Mme Jean Fontenoy, l’épouse de ce militant et homme de presse très engagé, qui se suicidera à Berlin en 1945. Mais Madeleine Charnaux était également une aviatrice réputée. Avec Maryse Bastié (qui lui remettra sa légion d’honneur, en 1937), Hélène Boucher et quelques très rares autres, elle fut l’une des pionnières de la conquête du ciel. Elle est d’ailleurs l’auteur d’un témoignage important sous le titre La Passion du ciel, paru lui aussi en 1944, avec un dépôt légal officiel daté de 1942.
Belle et sauvage et grave
Dans une préface très érudite, Philippe Vilgier nous donne un portrait fort attachant de cette aviatrice et écrivain, qui était aussi un dessinateur et un sculpteur de talent (élève d’Antoine Bourdelle).
En fait, la préface de Philippe Vilgier est aussi passionnante que le roman lui-même. Vilgier s’est livré à une enquête approfondie sur cette jeune femme, née en 1902, et qui disparaîtra à 42 ans à peine.
Cette Marina Sturm, héroïne du roman, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle lui ressemblait quelque peu : « Presque belle avec son rude et étroit visage d’Indienne aux yeux rapprochés, aux lèvres épaisses mais d’un dessin pur. (…) Elle respirait la santé et une sorte de violence, de spontanéité animales. » Et quand elle revêtait sa tenue de vol et un grand foulard de soie, « le serre-tête en daim très fin, bien posé sur sa petite tête avec, comme une visière de casque, les lunettes relevées sur son front », elle était « belle et sauvage et grave ».
L’écrivain Maurice-Yvan Sicard (Saint-Paulien) la décrit comme « une jeune femme d’un grand charme. Blonde aux yeux pervenche » et dotée « d’une volonté indomptable ».
Les hommes en étaient fous
Les hommes en étaient fous, et se disputaient ses faveurs… comme celles de Marina Sturm, dans le roman.
Jean Fontenoy rencontre Madeleine Charnaux à l’automne 1937. L’aviatrice a déjà cette réputation de femme intrépide et d’artiste talentueuse, au charme exquis. Jean Fontenoy présente lui aussi un profil d’aventurier, mâtiné d’intellectuel. Il vient de publier Shangaï secret, son meilleur livre, récit de son long séjour en Chine en tant que correspondant d’agence de presse puis directeur d’un journal local en langue française. Son livre L’Ecole du renégat, sorte de manifeste pour une révolte générationnelle, influencé par la renaissance patriotique en Italie, a été salué par Charles Maurras en « une » du quotidien royaliste L’Action française. Jean Fontenoy et Madeleine Charnaux vont former un couple mythique au destin tragique.
Tout est en fait réuni pour faire de ce roman, Qui a tué Marina Sturm, un grand succès de cette rentrée 2017, au moins dans « le milieu ». Avec ce troisième roman, il faut souhaiter que le Lys noir trouve très vite sa place aux côtés du Fleuve noir, de la Série noire et autre, dans ce paysage délicieusement noir, en effet, que constitue le roman policier. Le livre de Madeleine Charnaux est vendu 12 euros. Mais Auda Isarn propose une formule tout à fait novatrice : un abonnement à la collection du Lys noir, soit quatre titres par an, pour 36 euros.
Précipitez-vous pour commander ce livre – et mieux même, la série. Signalons en passant que chaque roman bénéficie d’une couverture originale signée d’Orick, qui est en elle-même un petit bijou.
- Qui a tué Marina Sturm, par Madeleine Charnaux, préface de Philippe Vilgier, 180 pages, Auda isarn, coll. Le Lys noir, 2017.
- Le Lys noir, édition Auda Isarn BP 90 825 Toulouse cedex 6, 12 euros pièce, 4 volumes pour 36 euros.