En tant qu’administrateur de AIDES, j’ai eu le plaisir de participer à une rencontre européenne d’experts sur la question de la prévention chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH). Cette rencontre a été à l’initiative de la Deutsche Aids Hilfe et s’est tenue à Berlin, début aout.
Ce sont 17 militants, venus de 17 pays d’Europe, qui se sont retrouvés là, issus de structures de lutte contre le VIH. Parmi eux des anciens compagnons de route de l’époque des programmes Europe de AIDES, et des nouvelles têtes. Les pays représentés étaient l’Allemagne, la Pologne, le Portugal, la Grèce, la France, la Croatie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, l’Autriche, l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas, l’Ukraine, le Danemark, la Russie. L’objectif principal était de faire le point sur la situation en Europe des questions de prévention chez les HSH, et de faire le lien, au-delà des réalités des différents pays, avec la politique européenne de lutte contre le sida.
Trois thématiques principales ont été abordées : Le traitement post-exposition, la PrEP et la consommation de drogues dans le cadre de la sexualité des HSH. De manière transversale, les questions liées au dépistage ont été abordées tout au long de la rencontre.
Sur la question des traitements post-exposition (PPE), les participants, ont établi une cartographie de la situation en Europe, qui montre une accessibilité et une disponibilité pour le moins contrastée de la PPE. En effet, la palette va des pays riches de l’Europe de l’Ouest, qui ont mis en place les dispositifs d’accès et rendus disponibles la PPE, grâce à des systèmes d’assurance maladie solidaires, même si quelques différences sont perceptibles, à des pays comme la Russie ou la Biélorussie ou la PPE est réservée aux seuls médecins. En Pologne, les médecins et militaires y ont accès, les HSH doivent payer le prix du traitement. En Suisse, le système d’assurances privées laisse un reste à charge aux personnes allant de 300 à 2 500 euros annuel par traitement PPE. En Croatie, il existe un seul hôpital disposant et mettant à disposition le PPE moyennant une participation de 300 euros par personne. En République Tchèque, le traitement coute un mois de salaire. En Grèce, la situation est complexifiée par le poids moral des religieux orthodoxes qui siègent dans les instances décisionnelles du ministère de la santé et par la crise financière : il n’y a pas de promotion de la PPE, et quand bien même elle est déclarée exister, les problèmes d’approvisionnement entrainent des discontinuités de traitement. En Grèce le retour en arrière est spectaculaire, l’austérité ayant fait exploser le nombre de contaminations, et tout le système de santé est fragilisé, certains hôpitaux n’ayant même plus assez de crédits pour traiter des infections bénignes.
Sur la question des traitements pré-exposition (PrEP), la plupart des intervenants des pays hors Union européenne (UE) et des pays pauvres de l’EU n’ont pas, ou ont à peine entendu parler de la PrEP. Une présentation explique le concept, reprenant les résultats des essais en cours, notamment Ipergay, en essayant de présenter un modèle économique coûts/bénéfices, au regard des contaminations évitées et de l’incidence sur la charge virale communautaire. Tout le monde a trouvé ces informations et les perspectives ouvertes passionnantes, notamment sur les concepts de prévention combinée. Hélas, quand on voit le panorama contrasté des systèmes de santé en Europe, il est aisé de comprendre que pour beaucoup, c’est presque une proposition visible dans une vitrine de Noël, un objet de désir, mais inaccessible, car le niveau de vie, le système de santé et le poids moralisateur des religions, sont autant d’écueils. L’évidence s’impose : en Allemagne, France, Grande-Bretagne et Suisse, le sujet est plus ou moins connu, plus ou moins maitrisé et des actions sont en cours auprès des pouvoirs publics pour avancer sur les questions de Santé Publique. Il apparait que la France est en pointe, avec les discussions actuelles et les positionnements des associations, notamment celui de AIDES.
Le dernier sujet abordé est celui de la consommation de drogues par les HSH. Le docteur Dirk Sanders nous a présenté en primeur une étude menée dans 44 villes d’Europe relative à la consommation de drogues par les HSH en général, comparativement à la population générale, et en essayant de faire le focus sur le phénomène chemsex (consommation de produits dans le cadre de relations sexuelles : GHB, méphédrone, crystal, kéta, poppers, viagra, etc). Cette étude a recueilli des données sur 180 000 hommes répartis dans 38 pays et en 25 langues. (A l’heure où j’écris ces lignes, le diaporama ne m’a pas encore été communiqué, car l’étude doit faire l’objet d’une présentation publique et d’une publication fin 2015.) L’étude a été menée par Axel J. Schmidt de la London School of Hygiene and Tropical Medecine. Au global, voici quelques données :
– Il ressort que près de 80 % des HSH ont été ou sont fumeurs de tabac, avec une prépondérance plus forte dans les capitales des pays dits de l’Est. L’alcool est consommé par 100 % des personnes HSH dans les six derniers mois, par plus d’un tiers d’entre eux dans les 24 dernières heures.
– Concernant le chemsex, l’usage reste relativement limité : dans une ville comme Brighton, par exemple, plus de 10 % des HSH y ont eu recours dans les quatre semaines précédant l’enquête, à Sofia, moins de 8 %.
– Plus de 50 % des HSH ont utilisé du viagra dans les cinq dernières années et 15 % dans les 7 jours précédant l’enquête.
– Le poppers est utilisé par 50 à 80 % des HSH, selon la géographie, dans les cinq dernières années, environ 35 % dans le dernier mois, et 20 % l’utilisent quotidiennement.
– La cocaïne a été utilisée par 20 à 50 % des HSH dans les cinq dernières années, par 15 % dans le dernier mois. Le crystal est bien plus utilisé en Grande-Bretagne et en Espagne, par près de 20 % des HSH dans les cinq dernières années, que dans les autres pays d’Europe (moins de 10 %).
– De même pour la méphédrone utilisée par près d’un britannique sur cinq alors que le reste de l’Europe reste en dessous des 10 %.Géographiquement :
– En Biélorussie, 16 % de recours au chemsex, plus de 30 % à l’alcool, 2 % d’injecteurs. Dans ces pays de l’ancien bloc de l’Est le phénomène est mal connu, mal documenté, car la vie des HSH est underground.
– En France, par exemple, on constate que un HSH de moins de 18 ans sur deux à déjà consommé du cannabis. Le slamming est essentiellement pratiqué dans quelques très grandes villes (Paris, Lyon…), plus rare en province ; la coke et la Kéta sont plus répandues sur le territoire.
– Paris est championne d’Europe avec près de 25 % de HSH consommateurs réguliers. Brighton et Manchester sont à 12 %, suivies de Londres (9 %), d’Amsterdam (5 %), de Barcelone et de Zürich (4 %), toutes les autres grandes villes présentant des pourcentages inférieurs de consommateurs réguliers dans le cadre de relations sexuelles, qui confinent à une marginalité.Sur l’ensemble de l’étude, les injecteurs sont entre 3 et 4 % quelle que soit la ville, et moins de 4 % de consommateurs de crystal en moyenne. Enfin, moins de un HSH sur cinq a eu recours au chemsex dans le mois précédent l’étude.
C’est à ses gens-là que l’on confie des enfants…
Via Le Salon Beige.
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