Eugène-François Vidocq: le forçat fondateur de la première agence de détectives! (Vidéo)

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Eugène-François Vidocq (1775-1857), né à Arras, mort à Paris, est un ancien forçat évadé en rupture de banc, chef de la Sûreté Parisienne, entrepreneur, fondateur de la première agence de détectives privés. Vidocq est un de ces rares personnages dont la vie truculente et aventureuse dépasse la fiction. Aventurier, policier, écrivain, c’est aussi un homme de courage et de cœur, et à ce titre il a sa place parmi les autres personnages hauts en couleurs que Les Editions de Londres s’enorgueillissent de présenter à ses lecteurs, à la recherche de repères en ces temps troublés.

Biographie, armée et bagne

Une biographie, c’est souvent un bagne de l’esprit. Comptez sur nous, nous allons vous en livrer les clés. François Vidocq est un enfant du Nord. Fils d’un boulanger d’Arras, son enfance et sa jeunesse sont marqués par une tendance à commettre quelques menus larcins. Adolescent, il fuit le domicile familial, s’enfuit vers Ostende avec le produit de ses vols, ébauche le projet de s’embarquer pour l’Amérique. Malheureusement, là, dans ces lieux flamands mal famés, il est à son tour dépouillé. Pour vivre, il entre au service d’un acrobate, s’occupe de l’allumage des lampions et de l’entretien des singes. Il revient à Arras, obtient le consentement de son père pour rejoindre le régiment de Bourbon, et intègre l’armée bleue. Il se bat à Valmy, à Jemappes, puis déserte l’armée, et pour échapper au conseil de guerre rejoint un régiment étranger, celui des cuirassiers de Kinski. Il fuit encore, repasse la frontière, retrouve son ancien régiment de chasseurs, est blessé, puis il épouse une jeune femme à l’âge de dix-huit ans, la quitte pour des raisons obscures, reprend sa vie errante, et parvient étonnamment au grade de lieutenant en dépit de ses états de service, puis devient capitaine de hussards, avant d’emberlificoter une dame et de lui emprunter une coquette somme d’argent.

Commencez-vous à comprendre l’intérêt d’une biographie ? Nous considérons qu’un garçon qui parvient à la majorité doit passer son Bac pour rentrer à l’Université ou dans les classes préparatoires, c’est à vrai dire notre unique modèle social ; Vidocq, lui, a dix-huit ans, et a déjà été voleur, fugueur, volé, soldat, blessé, acrobate, marié, gigolo… Et j’en passe. Mais ceci ne fait que commencer.

En 1796, Vidocq arrive à Paris. Il vit de vols et d’escroqueries et dépense ses biens bien mal acquis dans les tripots et dans les bras de femmes de légère vertu. Mais il escroque encore un peu. Fin Décembre 1796, il est condamné par le tribunal de Douai à huit ans de travaux forcés pour « faux en écritures publiques et authentiques ». On le conduit à Bicêtre, il y apprend la savate, pas avec le professeur Tournesol, mais avec un dénommé Jean Goupil, puis comme tous les bagnards il fait le voyage vers le bagne de Brest. Après de multiples tentatives d’évasion, même au cours du voyage, il s’évade en costume de religieuse, puis repris, il enfile des vêtements de matelot et s’évade pour de bon (l’avantage des bagnes portuaires). On l’arrête de nouveau en 1799. Il est alors envoyé au bagne de Toulon dont il s’évade en 1800.

La Sûreté

Viennent ensuite neuf années où franchement, l’on n’est pas sûr de ce qu’il devient. C’est une période trouble : guerres révolutionnaires, coup d’Etat Napoléonien, débuts de l’Empire…Et les hypothèses sur son histoire sont aussi diverses que peu avérées : s’évada t-il autant de fois que le prétend la série télévisée ? Redevint-il un voleur et escroc, et survit-il de larcins ? Dur à dire, il est probablement à Paris pendant une bonne partie de ces neuf ans, mais qui sait ? Le problème avec Vidocq, c’est d’abord qu’il réécrit sa propre histoire avec ses « Mémoires », mais aussi, comme il avait tellement d’ennemis, des deux côtés de la société, la soi-disant honnête, et la plus ténébreuse, le personnage a été tellement « réinventé » qu’il est devenu impossible avec deux cents ans de recul de démêler le vrai du faux. Et nous oublions… : moins grave peut être que l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie, les archives de la Préfecture de police flambent en 1871 au cours de La Commune de Paris. Ainsi, les Communards bien malgré eux contribuèrent-ils au mystère de Vidocq ?

Selon toute probabilité il devient indicateur de la police en 1809. Vers 1810, il rencontre Monsieur Henry, le chef de la deuxième division à la Préfecture de police. Ce serait lui qui aurait l’idée d’employer d’anciens bagnards afin de lutter plus efficacement contre les escarpes d’un Paris encore bien peuplé de voleurs, d’assassins, de faux-monnayeurs…C’était bien sûr avant la destruction de Paris opérée par Haussmann et Napoléon III (tel que décrit dans La Curée de Zola). Le préfet de Police Pasquier décrit ainsi la situation : « M. Henry avait, avec ma permission, fait sortir de Bicêtre où il était détenu à la suite de deux ou trois évasions des bagnes de Brest et de Toulon, un sieur Vidocq. Déjà, il avait dans la prison de Bicêtre rendu à la police d’assez importants services, et on lui avait dû d’utiles avertissements, fondées sur les relations que les voleurs enfermés trouvent toujours moyen d’entretenir avec ceux du dehors. M. Henry avait donc jugé qu’il pourrait, si on le mettait en liberté, faciliter dans Paris de précieuses découvertes, et il ne s’était pas trompé. » Eh oui, cela n’a rien à voir avec la version de Vidocq dans ses « Mémoires », mais ceci semble toutefois plausible.

C’est apparemment à partir de 1811 que Vidocq est nommé chef de la sûreté, brigade spéciale dont M. Henry ( ?) et Vidocq ( ?) eurent l’idée. Cette petite équipe s’établit rue Sainte Anne, est rémunérée sur des fonds secrets, travaille rigoureusement en marge de la police officielle, est constituée au départ de quatre hommes, mais ce chiffre s’élève à vingt huit en 1824. Là, la légende semble rejoindre la réalité : c’est en utilisant les moyens sûrement les moins éthiques mais apparemment les mieux adaptés à la tâche, celle de combattre un milieu qu’il connaissait mieux que tout autre, que Vidocq arrive à garder son poste jusqu’en 1827, quand il démissionne de ses fonctions de chef de la Sûreté.

Pendant toutes ces années, son succès est remarquable. Mais on l’attaque de toutes parts : la Police officielle le hait, les politiques le haïssent, une partie de la pègre le hait, on l’accuse d’à peu près tout, de malversations, de fomenter les mauvais coups pour ensuite retirer le crédit de l’arrestation de ses complices….En 1818, il est enfin gracié de l’accusation de faux qui le condamna au bagne, puis il se marie en 1820. Entre 1811 et 1827, où, rappelons-le, le pouvoir politique change quatre fois : Napoléon, Louis XVIII, Napoléon, Louis XVIII, Charles X, il est poussé à démissionner au moins deux fois.

Mais en 1827, c’est la bonne, ou… ?

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Après la Sûreté

Suite à sa démission, il s’installe à Saint-Mandé, où il créée une petite entreprise de papier, et invente le papier infalsifiable. En 1828, il publie ses fameuses « Mémoires », qui obtiennent rapidement un franc succès et sont sûrement à l’origine de sa légende. En 1832, ruiné dans son entreprise de papier, il cherche un emploi et retourne à la Sûreté. Il y joue alors un rôle important dans la répression de l’insurrection de juin 1832. Encore une fois, les interprétations varient ; on l’accuse de faire partie de la bande d’assommeurs qui s’en prenaient aux ennemis politiques du pouvoir en place, on l’accuse d’être un agent provocateur… La liste est longue. Toujours est il qu’il quitte de nouveau la police en 1832, après un retour éclair qui ne dura que quelques mois, le temps de se faire encore d’autres ennemis.

Puis, en 1833, il fonde le Bureau de renseignements pour le commerce, probablement la première agence de détectives privés, où il vendait des renseignements aux commerçants à l’époque où l’escroquerie prospérait sur un terrain fertile d’informations limitées ; il coinçait aussi les femmes volages, et faisait probablement concurrence au passage à la police officielle. On dit aussi que cette concurrence mal venue aurait forcé la fermeture de son agence, le poussant ainsi une nouvelle fois à la ruine, lui qui, par tous les moyens, pendant toute son existence, chercha de l’argent. On dit aussi qu’il offrit ses services à Lamartine après la Révolution de 1848. Comme quoi, en dépit de ses supposées inclinations royalistes, Vidocq était toujours prêt à rendre service. Il meurt à Paris en 1857, dans un état de destitution telle que l’on a même perdu la trace de sa sépulture. Ou est-ce vraiment un hasard ?

Le père du roman policier ?

Nous en avons déjà parlé à maintes reprises, probablement parce que cela nous amuse et nous intéresse, à propos de Gaboriau, de Maurice Leblanc, de Edgar Allan Poe ou de Balzac, mais finalement, le vrai père du Roman policier, est-ce Vidocq avec sa vie, et ses « Mémoires » ? Ainsi, il inspira Vautrin à Balzac dans « La dernière incarnation de Vautrin », quatrième partie de « Splendeurs et misères des courtisanes », il inspira à Hugo à la fois Jean Valjean et Javert ; quelle meilleure preuve de l’ambiguïté du personnage de Vidocq, puisque Hugo créée à partir de Vidocq le personnage bagnard évadé, et son ennemi juré ? Il inspira probablement le policier Jackal à Dumas dans « Les Mohicans de Paris », Rodolphe de Gerolstein dans « Les mystères de Paris », Auguste Dupin dans « Double assassinat de la rue Morgue » de Poe, lequel inspira Leblanc à son tour, sûrement Lecoq dans L’affaire Lerouge…

Et si c’était ça, la principale contribution de Vidocq, l’irruption du policier dans la littérature ? Et si toute la complexité du policier, puis du roman noir, intelligence, malice, égoïsme, problèmes conjugaux, relationnels, violence, instabilité émotionnelle, cynisme, critique sociale…venaient à l’origine de la vie d’un homme, Vidocq ?

Mais Vidocq est aussi un humaniste, et un étonnant pragmatique : en témoigne son remarquable essai, avec lequel nous commençons la publication de ses œuvres : Considérations sommaires sur les prisons, les bagnes et la peine de mort

La légende

Le jugement de l’histoire est une des choses les plus paradoxales qui soient. C’est un processus de simplification outrancière de ce qui est un matériau d’une infinie complexité, la vie humaine, ses actes et ses erreurs, jugée à l’aune de valeurs qui changent selon les époques, les mœurs, les cultures et les points de vue, aussi contradictoires à l’époque qu’ils sont présentés plus tard comme des faits indiscutables, taillés dans la pierre. Et à chaque relecture de l’histoire, la doxa l’emporte et impose ses vues par le truchement de ses moyens de propagande. Ainsi, Drieu La Rochelle collaborateur, Pétain, damné de l’histoire, Céline, damné de la littérature, mais Richelieu, Louis XIV, Napoléon I, Napoléon III, Thiers, pas si mal après tout… ? Comme si le temps en effaçant non pas les erreurs, mais la connaissance de ces erreurs, faisait à l’affaire. Notre opinion, c’est qu’il n’y a pas de pardon social, il n’y pas de relativisation de la morale par des générations plus éclairées ; ce qui lave les plaies des réputations brisées, c’est fondamentalement l’ignorance, totale, absolue, qui nous pousse à toujours répéter les mêmes erreurs, avec des variations bien entendues ; c’est tellement plus simple que de se pencher sur la réalité, de l’observer avec des jumelles et un microscope, admettre l’impossibilité de juger, juger avec prudence ; il faudrait un peu d’éthique journalistique à la Londres pour réévaluer objectivement l’histoire plutôt que de passer son temps à la réécrire.

Ainsi, si Vidocq avait fait ce qu’il a fait au cours d’une autre période trouble, telle que l’Occupation, aurait-il été un milicien, un collaborateur, ou alors un résistant de la première heure ? Nous penchons pour les deux. Et alors, qu’aurait-on dit ? Connaissant nos grands clercs de la pensée unique, je crois que c’est assez évident. Il y aurait une opinion, qui écrase les autres opinions dissonantes, une opinion basée sur des faits invérifiés, mais dont la teneur spectaculaire suffit à emporter l’adhésion, et impressionner l’opinion puis reconstruire une vérité, simplifiée, rassurante, à mille lieues de la réalité de la vie humaine.

Ainsi, Vidocq fut un mauvais garçon, mais il décida de survivre, de faire son bonhomme de chemin dans un monde plein de contradictions ; il suivit sa conscience, et son intérêt, il sentit bien qu’il lui fallait écrire son histoire, ce qu’il fit avec les « Mémoires », mais il inspira à l’époque à Balzac le personnage peu reluisant de Vautrin, mais aussi plus tard le Jean Valjean de Hugo. La différence entre les valeurs morales de ces deux personnages de fiction confirme bien la complexité du personnage réel, même pour les plus grands écrivains de l’époque. Et puis il y eut les romans, et puis la célèbre série télévisée, qui en fit un personnage modèle, une légende de notre histoire. Rien de tout cela n’est vrai. Ce qui est vrai, c’est sûrement tous les faits, mélangés, secoués, une incroyable complexité morale. Nous ne le jugeons pas. Nous le trouvons simplement humain, trop humain…

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