Jan-Michel Blanquer veut renforcer les DRH, pour accroître la mobilité et la contractualisation des professeurs. Si cela ne concerne que 10% des enseignants, le ver libéral est dans le fruit. L’institution «école» va-t-elle devenir une start-up ?
La marche vers la privatisation de l’école semble bel et bien confirmée par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale. Sur RTL, le 30 août, Jean-Michel Blanquer affirme vouloir développer la gestion des ressources humaines de proximité dans les établissements scolaires, afin d’apporter «une gestion des ressources humaines qui soit humaine à l’Education nationale», décrite par Jean-Michel Blanquer comme une «machine».
Dans une institution publique telle que l’école, dans laquelle les professeurs réussissent à entrer de manière théoriquement définitive après un concours, le secteur des ressources humaines, comme il existe dans les entreprises privées, devrait a priori être plutôt réduit. Jean-Michel Blanquer semble penser le contraire. «Les écoles, les collèges et les lycées pourront demander la création de postes à profil échappant à l’affectation aveugle de la machine», ajoute ainsi le ministre.
Pourtant, le gouvernement a confirmé en juin le gel du point d’indice pour 2019 du salaire des enseignants titulaires : difficile de croire que cette mesure enrayera la crise des vocations, notamment dans les zones sensibles, alors que les académies manquent déjà de professeurs. Dès lors, il semble clair que ce sont avant tout les contractuels que l’Education nationale cherche à attirer, tout en maintenant une pression accrue sur les titulaires.
«Ce que nous voulons, c’est donner un peu d’air au système, permettre aux enseignants qui le souhaitent de suivre des parcours plus singuliers. Et qu’on ne caricature plus l’Education nationale en pachyderme préhistorique», argumente Jean-Michel Blanquer. Cette logique fait craindre une généralisation du recrutement de contractuels, au détriment de la sécurité de l’emploi.
Vers une individualisation des recrutements
10% des enseignants pourraient prochainement être recrutés sous cette nouvelle forme. «Nous voulons que cette dimension, qui est bonne, puisse se déployer, non pas être systématique pour toutes les affectations de tous les professeurs mais devenir quelque chose de plus fréquent parce que cela voudra dire aussi qu’on aura eu plus systématiquement dans les établissements de France un projet éducatif donnant son originalité à chaque établissement», assure Jean-Michel Blanquer.
Une fois le principe adopté, le plus dur semble fait et le pourcentage n’est plus qu’un détail : rien ne garantit que les 10% ne deviendront pas 20%, 50% ou plus… Une Education nationale où chaque établissement proposerait ses examens et entretiens d’embauche à la carte irait à l’encontre du principe originel d’un service public égal pour tous et partout. Le recrutement à l’échelle nationale sur un concours unique, tel qu’il existe actuellement, permet à l’institution de s’assurer de l’homogénéité des compétences.
Dans le nouveau modèle prôné par Jean-Michel Blanquer, rien ne garantit par exemple que les prestigieux établissements parisiens ne s’accaparent pas les meilleurs enseignants, au détriment des zones rurales ou sensibles. Les propos du ministre ne rassurent guère : il évoque des projets menés au sein des établissements, qui permettraient de cibler le recrutement «de professeurs ayant un profil correspondant à ce projet».
Des professeurs en zone très sensibles bientôt valorisés… sous condition
Enfin, Jean-Michel Blanquer évoque une éclaircie salariale pour les enseignants en zone très sensible. Mais les conditions semblent tout droit venues du monde des marchés : la prime annuelle accordée dès la rentrée aux enseignants des écoles et collèges des réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+), promesse de campagne d’Emmanuel Macron, serait effectivement conditionnée aux bons résultats des équipes pédagogiques. «Cela implique de contractualiser avec l’établissement sur des objectifs, et de pouvoir s’assurer que lesdits objectifs sont bien atteints. L’instance d’évaluation indépendante qui sera mise en place en 2019 contribuera à cette logique», insiste Jean-Michel Blanquer.
Cela signifie très probablement que les professeurs seront davantage tentés de ne pas exposer les problèmes au sein d’un établissement (violences, menaces, pression, etc.), ou de ne pas mettre de mauvaises notes à leurs élèves, au risque d’affaiblir le taux de réussite de leur collège ou lycée. Chaque établissement se trouvera alors en concurrence directe avec les autres, pour le recrutement des professeurs comme pour les notations. Chaque professeur se trouvera en concurrence directe avec ses collègues pour élaborer son «parcours singulier». Dans cette Education nationale version start-up, il y aura nécessairement des gagnants… et de nombreux perdants.