La jeune femme, de confession yezidie, a échappé de l’enfer et lance un appel à la communauté internationale. Jinan parle pour attirer l’attention sur le sort des « milliers de femmes toujours captives de Daech dans des conditions effroyables ». C’est un petit bout de femme au regard acéré. Une ancienne esclave de Daech, échappée de l’enfer, à tout juste 18 ans. « Je parle pour témoigner encore et encore. C’est un message destiné à toutes mes sœurs yézidies (NDLR : communauté minoritaire persécutée par Daech) qui sont toujours aux mains de ces monstres et qu’il faut sauver à tout prix », sourit-elle tristement.
Jinan, qui publie son témoignage chez Fayard* (en collaboration avec le journaliste Thierry Oberlé) a été capturée dans la région de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak lors de la grande offensive du groupe Etat islamique en août 2014. Les jihadistes sont arrivés à bord de pick-up armés de mitrailleuses, et ont rapidement séparé les hommes des femmes. Durant cette période, Daech a exécuté sans pitié des centaines de civils, y compris des adolescents et des vieillards dans toute la région. Les jeunes filles ont été vendues aux combattants, comme du vulgaire bétail.
Jinan et cinq de ses camarades d’infortune sont achetées par deux hommes, un ancien policier et un imam. Elles croupiront pendant trois mois dans un village abandonné. « Nos maîtres étaient d’une méchanceté inouïe, raconte Jinan d’une voix fatiguée. Nous étions torturées, battues, enchaînées sous le soleil toute la journée. Ils nous faisaient boire de l’eau dans laquelle des souris mortes avaient trempé. Nous étions leurs bonnes à tout faire. On devait cuisiner pour trente à quarante membres de Daech. On nettoyait leurs vêtements, on lavait la maison. »
«Ils filmaient leurs meurtres et nous forçaient à regarder les vidéos»
La nuit, les propriétaires de la villa vont chercher leurs proies à tour de rôle pour les violer dans une chambre située au deuxième étage. Utilisant parfois des menottes, frappant les prisonnières avec des bâtons. « Durant ma détention, je n’ai pas croisé un seul jihadiste qui fasse preuve de compassion, ajoute la jeune femme sans s’attarder sur les violences sexuelles qu’elle a pu subir. Ils ne pensent qu’à la guerre, à la vengeance, à la mort. Il y avait des Irakiens, des Syriens, des combattants étrangers. Leur but ultime est d’instaurer le califat sur la planète entière, y compris en Occident. Ils considèrent qu’ils détiennent la vérité absolue. Que tous les autres doivent se soumettre ou périr. Ils ont commis beaucoup de crimes. Ils filmaient leurs meurtres et nous forçaient à regarder les vidéos. »
Durant les marchés aux esclaves les plus belles filles sont accaparées par les chefs islamistes ou par de richissimes clients du Golfe. Dans la maison où vivent les jeunes femmes, la journée est rythmée par les visites. « Des combattants viennent faire leurs emplettes dans le salon de réception. Des marchands jouent les intermédiaires, des émirs inspectent le cheptel avec l’assurance de propriétaires comblés mais attentifs. » Les violences sont quasi quotidiennes. « Le soir, la corvée du plateau-repas de kebabs est un cauchemar, se souvient encore Jinan. Jamais aérée, la chambre des deux Abou ( NDLR : ses tortionnaires) sent le fauve. J’en ai eu assez d’être une esclave sur qui mes bourreaux avaient droit de vie ou de mort. »
Le calvaire de six jeunes yézidies s’achèvera fin 2014, par une évasion. « Une nuit, nos deux maîtres sont revenus du front fatigués, ils sont partis dans leur chambre juste après le dîner. Vers minuit nous nous sommes enfuies par la fenêtre. Nous avons marché des heures pieds nus avant de rejoindre les rangs des forces kurdes. »
Depuis, la jeune femme est hébergée dans un camp de réfugiés, dans le nord de l’Irak, non loin d’Erbil. Enceinte de son mari, elle rêve d’une vie apaisée. Mais avant, elle cherche à mobiliser l’opinion. Avec ses moyens. « Puisqu’on me donne la parole, je la prends, lâche-t-elle, bravache. Des milliers de femmes sont toujours captives de Daech dans des conditions effroyables. La communauté internationale doit agir, y compris militairement s’il le faut. Voilà un an et un mois que l’Etat islamique a envahi notre territoire. N’avons-nous pas déjà suffisamment souffert ? »
* « Jinan. Esclave de Daech », Ed. Fayard, 252 pages. 18 €.