Le transhumanisme : mythe… ou réalité terrifiante ? / Un document de l’épiscopat français

 

Voici quelques années que la Conférence des évêques de France publie sous forme de brochures thématiques – imprimées et non disponibles actuellement sur internet – une série renouvelée de « Documents épiscopat », destinée à éclairer les évêques, responsables religieux et le public intéressé sur des thèmes qui vont de La liturgie et l’avenir de la liturgie à La religion des ancêtres en Afrique.

Mais la série aborde aussi des thèmes plus étonnants, ainsi que le prouve l’heureuse parution du n° 9 de 2013, Le transhumanisme, ou quand la science-fiction devient réalité. Publié sous l’égide éditoriale du secrétariat général de la Conférence des évêques, il porte la signature de Jean-Guilhem Xerri, biologiste médical et président d’honneur d’« Aux captifs la libération », une double casquette de scientifique et de militant pour l’assistance aux plus faibles qui est au cœur du sujet.

A vrai dire la brochure est étonnante dans son aspect tranchant et la netteté de sa dénonciation d’un « progrès » voulu pour lui-même : très loin de l’optimisme de la « foi en l’homme », l’auteur dénonce le transhumanisme comme une perspective dangereuse qui n’a rien d’une utopie, les avancées actuelles de la science rendant vraisemblables ses rêves prométhéens.

Une telle vigueur, pour un sujet qu’on pourrait être tenté de rejeter dans les ténèbres du « complotisme », a quelque chose de décidément rafraîchissant et montre que l’Eglise de France n’est pas dupe des bonimenteurs de la santé universelle et – pourquoi pas – de l’immortalité ici-bas. L’avant-propos n’hésite pas à évoquer la « dimension fascinante mais en même temps terrifiante de ce que l’homme est et sera prochainement capable de faire ».

Si franche est l’approche qu’elle complète et dénonce philosophiquement, en quelque sorte, les poussées vers L’homme artificiel dont notre ami Jean-Pierre Dickès a décrit le probable avènement dans ce livre qui est un recueil de toutes les inventions les plus folles de la science.

Le transhumanisme, c’est une vieille histoire. On ignore généralement – mais Fabrice Hadjadj l’avait rappelé en plein amphithéâtre de l’UNESCO, au printemps 2011, pour l’ouverture du « Parvis des gentils » – que le premier directeur de cet organisme onusien n’était autre que Julian Huxley, frère d’Aldous et surtout inventeur du terme qui vise une idéologie et une pratique d’une amélioration de la qualité des individus de l’espèce humaine. C’était au moment même où « Hitler gazait les malades mentaux en 1941 », rappelait l’écrivain.

Jean-Guilhem Xerri voit les débuts effectifs du mouvement du transhumanisme dans les années 1980, il le définit comme une recherche de « l’augmentation de l’humain » qui « recouvre une double réalité, technique et philosophique ». L’association transhumaniste a déclaré en 1999 qu’elle prône « le droit moral, pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie ».

Comment cela sera-t-il possible ? Eh bien, par la « grande convergence » par laquelle différentes sciences – nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information, technologies du cerveau, les « NBIC » – permettront à vues humaines de transformer totalement l’homme, couplé à l’intelligence artificielle, doté de perceptions virtuelles quasi réelles, transcendant son propre corps et siège d’une conscience modifiée qui pourra être transférée vers des supports moins fragiles, moins malades, moins mortels. Débarrassé enfin du mal et de la souffrance. Fiché par son ADN – un ADN amélioré bien sûr.

Et pour quand sera cette mutation de l’homme ? Au vu des découvertes actuelles, on l’attend vers 2030, 2050. Pour Xerri, il ne s’agit nullement là de perspectives de science-fiction mais d’une réalité qui commence déjà à prendre corps : « L’hybridation homme/animal ou homme/machine par exemple, ne pose plus de difficultés techniques », observe-t-il.

Transformer le cerveau humain en ordinateur à mémoire extensible et aux souvenirs programmables paraît de l’ordre des projets réalisables ; de même que les ordinateurs pourront devenir « intelligents » sur le modèle d’une intelligence humaine – augmentée, évidemment – cassant les frontières entre la matière inerte et le vivant, de même qu’on a nié la différence de nature entre l’homme et l’animal (ça, pour le coup, c’est déjà fait). Les partisans du transhumanisme envisagent l’installation dans les corps humains de milliards de « nanorobots » chargés de corriger, de réparer, mais aussi de permettre de nouvelles sensations, de nouvelles perceptions, des émotions toujours plus agréables et « paradisiaques ». Le bien et le mal étant réduits à des productions biologiques du cerveau.

Nous y voilà : avec raison, Xerri voit dans le transhumanisme un eugénisme, certes – comme dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, la procréation artificielle jouera un rôle clef dans la fabrication de « l’homme augmenté » – mais encore et peut-être surtout une religion à part entière, où l’homme ne vit plus en tant qu’individu pour lui-même, capable de chercher son plaisir et d’être comblé dans le virtuel.

Ce que les transhumanistes appellent « paradise engineering », où la promesse d’un bonheur sans fin sur terre. Derrière chaque idéologie, il y a des lendemains qui chantent… Ici, c’est la promesse d’une « félicité perpétuelle » dans laquelle les marchands de « bien-être sensuel » trouveront des débouchés sans limites…

En l’occurrence, au fil des pages, on prend en effet conscience de la dimension religieuse ou plutôt contre-religieuse du rêve des transhumanistes.

A rechercher sans fin l’homme parfait, l’homme sans défauts, sans souffrance, sans misère, vainqueur de la mort mais par lui-même, entouré d’« androïdes » qui lui serviront de familles, de proches, d’amis, le transhumaniste révèle au fond son rejet du salaire du péché. Un Non serviam qui change de degré, mais non de nature : il est simplement le refus de Dieu dans l’histoire humaine, le refus de sa miséricorde et même de l’existence d’un besoin de miséricorde.

« L’enfer, c’est de se croire au paradis par erreur » : Gustave Thibon a mis cette phrase de Simone Weil en exergue de sa pièce de théâtre, Vous serez comme des dieux, qui conte la désespérance de l’héroïne dans un monde d’immortalité où Dieu est devenu inaccessible.

Le rêve transhumaniste trouve de forts échos dans ce texte qui a précédé, mais pressenti, les possibilités technologiques qui allaient s’offrir à l’homme. Et ce rejet de Dieu est aussi pointé par Xerri qui annonce, dans la virtualisation des rapports humains et l’incessant « divertissement » pascalien qui nous accapare toujours davantage, un anéantissement progressif de tout ce qui est spirituel. Bernanos le disait déjà au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans La France contre les robots :« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

Si l’homme est fait pour Dieu, le transhumanisme n’est qu’une nouvelle déclinaison du « Vous serez comme des dieux » d’où lui sont venues toutes ses souffrances que nous avons désormais pour devoir de soulager, mais aussi d’accepter, de transcender dans l’économie de la Rédemption – et non de nier et encore moins d’éliminer.

Et Dieu sait que nous nous y employons, apportant la mort sous diverses formes comme solution ultime – solution finale ! – à tout ce qui gêne, dérange et contredit nos petits bonheurs horizontaux.

• Documents Episcopat n° 9/2013, Le Transhumanisme ou quand la science-fiction devient réalité. Disponible à la Conférence des évêques de France et sur le site www.eglise.catholique.fr.

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