Si vous êtes comme moi, l’Aide Médicale d’Etat, ou AME, vous n’en aviez probablement jamais entendu parler avant ces dernières semaines. Pour ma part, j’en étais resté à la Couverture Maladie Universelle (CMU) qui, je le croyais, couvrait les cas qu’en réalité, l’AME se charge de traiter. C’est à la faveur d’un vote favorable des députés PS à la suppression de la franchise de 30 euros sur cet AME que j’en ai découvert l’existence. Stupéfaction s’en est suivie.
Le vote est intervenu dans la nuit du 20 au 21 juillet et sans surprise, la suppression de la franchise a été votée haut la main par la nouvelle et flamboyante majorité officiellement socialiste que le monde nous envie en nous regardant trottiner vers le mur, tête la première. A la suite de ce vote, les parlementaires de l’actuelle opposition se sont donné le mot pour faire un peu de buzz médiatique. Ne nous leurrons pas : c’est grâce ou à cause d’eux qu’on en parle à présent.
Ceci posé, que représente cette AME ?
Il s’agit d’une aide médicale, créée en 2000 sous le gouvernement Jospin (on me chuchote qu’il était officiellement socialiste), destinée à offrir des soins d’urgence aux étrangers sans papiers résidant en France depuis plus de trois mois. La relative facilité d’obtention de l’AME pour tout étranger sans papiers a provoqué une croissance des dépenses liées à cette aide d’un facteur huit entre 2000 et 2011. La mise en place d’un forfait de trente euros en mars 2011 avait pour but de modérer les demandes. Ce forfait n’ayant permis d’engranger que trois millions d’euros pour l’année écoulée, on comprend qu’en regard des sommes engouffrées (on parle de 588 millions d’euros pour 2011, tout de même), le sujet fasse polémique, d’autant plus que ce chiffre assez conséquent est arrivé au moment où un autre chiffre, celui des fraudes sociales, était lui aussi lancé dans le débat (et qu’il s’établit quand à lui à 497 millions pour la même année). Quand on cherche du milliard d’euro comme l’assoiffé de l’eau en plein désert, on comprend que les débats furent agités.
Évidemment, il n’y a pas besoin de fouiller beaucoup pour trouver (notamment dans la presse d’ « opposition ») des articles relatant la façon dont cette AME est utilisée, avec force détails. On y apprend notamment que cette aide, supposément d’urgence, permettait jusqu’à encore récemment l’aide à la procréation (le caractère d’urgence m’échappe) et incluait les cures thermales. Et même si la notion d’urgence est définie de façon relativement claire, les marges de manœuvres en matière d’interprétation de ce caractère d’urgence laissées à l’ensemble du personnel de soin (depuis le docteur jusqu’au personnel hospitalier en passant par le personnel administratif) sont suffisamment grandes pour qu’il exerce largement sa solidarité avec l’argent des assurés. Solidarité à laquelle il sera d’autant plus simple de faire appel que les contrôles de la pertinence même des actes pratiqués sont, pour ainsi dire, inexistants. Fraude qui se joue d’ailleurs à plusieurs niveaux et se répartit probablement entre les bénéficiaires des soins et leurs distributeurs puisqu’on constate que les facturations varient du simple au quintuple entre des patients normalement assurés et patients « AME », en fonction de l’endroit où elles sont établies.
Bref : tout indique que cette aide médicale d’état est, d’un côté, un véritable gouffre financier et de l’autre, une opportunité assez stupéfiante pour n’importe qui de se faire soigner pour un prix modique voire nul, sans avoir cotisé. À ce titre, il faudrait être de la dernière naïveté pour prétendre que son existence n’attirerait pas un peu une certaine forme de tourisme médical, au détriment des assurés français. Du reste, on retrouve exactement le même type de tourisme lorsque des Français, assurés mais un peu juste financièrement, se retrouvent à passer une semaine de vacances en Bulgarie ou en Roumanie où, différentiel de niveau de vie aidant, ils bénéficient d’un traitement (notamment dentaire ou ophtalmologique) bien moins coûteux qu’en France.
De plus, cette AME ajoute une nouvelle palette de dépenses au problème déjà aigu des hôpitaux que le gouvernement peine maintenant financer pour leur éviter une faillite misérable, réduit qu’il est à devoir rediriger une partie des fonds du grand emprunt de 2010 en camouflant le replâtrage des établissements publics derrière des « projets de modernisation informatique ou d’innovation thérapeutique ». Lorsqu’on sait que certains établissements en sont à utiliser les décalages de trésorerie (en jouant sur le cadencement du paiement des heures supplémentaires sur plusieurs mois, par exemple) pour éviter de se retrouver en faillite pure et simple, et que leur gestion calamiteuse a creusé le trou à 24 milliards d’euros, on comprend que les fonds seront très rapidement engloutis dans la gestion courante et les salaires bien avant d’hypothétiques innovations rutilantes.
Tous ces éléments laissent songeur, puisqu’on en arrive à faire preuve d’une générosité et d’une prodigalité dans nos soins qu’une saine gestion permettrait déjà difficilement mais que les gabegies actuelles, en toute logique, interdirait si l’on avait deux sous de bon sens et une vague volonté de sauver ce qui peut l’être. Mais voilà : cette volonté semble, comme le reste, s’être évaporée il y a un moment.
Moyennant quoi, la France dispose maintenant non pas d’un système de soins que le monde nous envie, mais surtout d’une palanquée de trous, de déficits et de dettes colossales que le monde nous autorise encore pour quelques mois, quelques années tout au plus. Et en regard de ces dettes, on constate tous les jours la baisse générale de qualité des prestations fournies. D’ailleurs, les chiffres de l’OCDE ne laissent guère de doute. Pour rire, en voilà quelques uns, qui ne situent la France dans les grandes puissances mondiales que lorsqu’il s’agit de gober du médoc comme des cacahuètes à l’apéritif, ce qui ne surprendra personne, et qui montrent que oui, la Turquie, en matière d’équipements, fait mieux…
Lorsqu’on se rappelle des performances allemandes par exemple, qui, sans être bonnes, sont tout de même franchement meilleures que les françaises, on comprend que notre système d’assurance collectiviste est à bout de souffle. Comme tous les machins monstrueux, bureaucratiques, massivement collectivisés, et amoureusement remplis de syndicalistes à la direction et de fonctionnaires un peu partout dans l’administratif (voire l’opérationnel), la Sécurité Sociale française va inévitablement s’effondrer sous son propre poids, ses propres lourdeurs, ses échecs et ses injustices criantes.
Des solutions, bien évidemment, sont connues, appliquées à plusieurs endroits dans le monde avec succès, et parfaitement, rigoureusement, implacablement impossibles à mettre en place actuellement en France. Il faudra en passer par un effondrement total, par la misère des classes les plus laborieuses et la prise de conscience des classes moyennes pour qu’enfin, les Français abandonnent leurs lubies ridicules, écarquillent les yeux et reviennent à un peu de bon sens.
En attendant, n’oubliez pas de bien payer toutes vos (très nombreuses) cotisations.
> h16 anime le blog hashtable.
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