Quand les poules auront des dents, les coqs auront du souci à se faire. En attendant, c’est le coq Maurice qui a des ennuis. Son cas sera jugé au tribunal correctionnel de Rochefort (Charente-Maritime), jeudi 4 juillet. Pas Maurice en personne, mais ses maîtres, des habitants de l’île d’Oléron, car depuis la Révolution, on ne juge plus les animaux. Est-ce à dire qu’on avait plus de respect pour nos amis les bêtes avant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, puisqu’elles étaient justiciables ? La question est pendante, comme ce pauvre cochon condamné à mort en 1408 à Pont-de-l’Arche, près de Rouen, pour avoir tué un petit enfant.
Que reproche-t-on à Maurice ? Pas d’avoir pondu un œuf comme ce coq bâlois, en 1474, condamné pour cela à être brûlé vif avec son œuf en place publique. À l’époque, on croyait encore bêtement que les chats ne font pas des chiens et on ne s’était sans doute pas encore demandé, de l’œuf ou de la poule, qui était arrivé en premier. Non, on reproche tout simplement à Maurice de chanter. Car il paraît que le coq chante plus que deux fois et qu’à son tour, « à l’heure où blanchit la campagne ». Et les voisins de Maurice, « un couple de résidents secondaires retraités », nous dit Ouest-France, en ont assez de ce réveil naturel et biodégradable qu’est Maurice. Ils ont donc esté en Justice. Et la polémique d’enfler, de se développer : pétition (114.000 signataires à ce jour), marche dans le village, ouverture d’une page Facebook pour soutenir Maurice. Bref, toute la panoplie moderne pour défendre les nobles causes. La propriétaire de Maurice monte sur ses ergots : « Il y a trop de gens qui viennent en vacances et se plaignent du bruit des vaches, des chiens, des grenouilles, des cloches… » On connaît ce phénomène, déjà évoqué dans Boulevard Voltaire. Marie-Antoinette voulait des vaches toutes propres en son hameau du Petit-Trianon et l’on sait, depuis Alphonse Allais, que l’idéal serait de « construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur ». Mais il est vrai que, pour ces « résidents », « il s’agit d’un lotissement, nous ne sommes pas à la campagne ».
Nous y voilà. Le « lotissement » : ni ville, ni village, ni campagne. Un truc hybride, comme le carburant. Forcément éco-responsable. La France devient un vaste lotissement. Certes, c’est mieux que les barres que l’on construisait sous Pompidou. C’est un peu comme les œufs des restaurants collectifs : l’hygiène et la sécurité comme priorité. Tout au cordeau. Les œufs ne sont pas encore carrés – ça pourrait blesser les poules – mais de moins en moins livrés dans leur coquille. Rome n’est plus en Rome dont le Capitole fut sauvé, paraît-il, par les oies, pas par les poules. Et les œufs ne ressemblent plus à des œufs. Le lotissement, ça ressemble de loin à la campagne mais ce n’est pas la campagne. Alors, le coq y a-t-il sa place au milieu de laquelle on a déjà du mal à y mettre l’église ? La campagne, quand j’étais gamin, c’était le risque de marcher dans une bouse de vache. Aujourd’hui, le danger, ce serait plutôt les crottes de chiens nourris aux croquettes. Chaque époque a ses problèmes.
Mais revenons à notre gallinacé. Il paraît que le coq est le symbole de la France. Louis-Philippe ne le mit-il pas à l’honneur en le nichant au sommet des hampes de nos drapeaux ? Ce qui faisait dire à Jean Cocteau, qui n’était pas coquetier : « Qu’est-ce que la France, je vous le demande ? Un coq sur un fumier. Ôtez le fumier, le coq meurt. C’est ce qui arrive lorsqu’on pousse la sottise jusqu’à confondre tas de fumier et tas d’ordures. » On attend avec impatience que la Justice de notre pays rende son jugement.
Georges Michel – Boulevard Voltaire