Une appli pour repérer les fichés S?

Toute la France numérique – celle qui s’y connaît, et l’autre, qui pense que ça fait bien de faire semblant de s’y connaître – se pâme devant notre Président start-upper et son projet de faire de la France une « start-up nation ».

Et vendredi soir, pour l’inauguration de Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde, tout ce petit monde communiait dans la célébration du premier start-upper de France, qui était venu, avec humour, raconter sa success story : « Il y a trois ans, j’avais promis à ma femme que j’arrêterais totalement la vie politique et que j’allais créer une entreprise. J’ai ensuite pivoté de business model et les choses se sont faites en marchant. Beaucoup de gens m’ont dit “ça ne marchera jamais”, puis on a dit “ce type est tout seul”, d’autres “il n’y a pas de business model”, puis “il n’y a pas d’investisseurs”, “il n’y aura pas de clients”, puis “c’est devenu presque une secte”. Et, à la fin, on l’a fait. »

​‌De quoi faire rêver nos entrepreneurs, jeunes ou moins jeunes, et aussi nos futurs responsables politiques.

Mais tout ce beau petit monde oubliait quelques réalités. D’abord qu’en matière de « plus grand incubateur », la France détient, depuis longtemps déjà, un autre record mondial que la grande halle de Station F, ses milliers de m2, n’arriveraient pas à contenir : celui des fichés S, des islamistes radicalisés. Et je n’élargis pas l’énumération des cercles concentriques dont ces dizaines de milliers d’individus constituent le centre. Là aussi, le business model a parfaitement fonctionné, les clients et les investisseurs sont nombreux. Et la vieille économie ne sait pas du tout comment arrêter cette réussite.

La nouvelle le peut-elle ? En a-t-elle même envie ? Elle aurait quelque moyen d’y arriver, si elle le voulait. Si, au sommet de l’État, siégeait plus qu’un start-upper savourant sa réussite et se mirant comme un coq sur l’écran de son iPhone.

 Valeurs actuelles vient de publier la carte, à actualiser en permanence, des fichés S : plus de 15.000 fichés S pour radicalisation… qui se concentrent, sans surprise, à Paris et en banlieue parisienne, dans le Nord, l’Est, le Sud-Est et le Midi toulousain. Chez nous. Chez vous. Dans votre rue. Votre village.

Et là, en songeant à Merah, au Bataclan, à Nice, à notre agriculteur poignardé du 18 juin qui ne comprend toujours pas pourquoi son agresseur, assigné à résidence, ne respectait pas cette petite obligation, pourquoi les gendarmes qui l’ont contrôlé quelques minutes avant ne savaient guère qui il était et l’ont laissé filer, on se disait quand même que la France d’un Xavier Niel, d’un Macron, la France du plus gros incubateur de start-up – et de djihadistes – pourrait peut-être faire preuve d’inventivité, non ? Nous offrir autre chose qu’une appli post-attentat ?

Mais non, à la halle Freyssinet, vendredi soir, l’heure n’était pas aux sujets qui fâchent. On était entre amis. Et le Président était d’ailleurs accompagné d’Antoine Martin, cofondateur de Zenly, l’application qui permet de géolocaliser ses amis. Mais les fichés S et les autres dangereux, Zenly ne pourrait pas les géolocaliser aussi ? Moi, ça m’arrangerait bien, et mes enfants aussi. Bien sûr que la technique le peut, mais ne seront informés que quelques happy few, pas vous, pas le maire, pas les gendarmes, pas les voisins, pas le directeur de l’école du quartier. Peut-être quelque juge lointain, mais qui, le voudrait-il, ne pourra rien pour vous protéger…

Mais le mot de la fin revenait à Brigitte, inquiète des dérives possibles de cette appli de géolocalisation des amis : « On peut tricher ? » On lui dit que oui. « C’est rassurant », sourit-elle. Et la France entière était rassurée avec elle, par cette note d’humour sage et souriant. Notre première dame pourrait continuer à ne pas être importunée par ses amis. Et tricher avec eux.

Les centaines de victimes de nos djihadistes auraient, elles aussi, préféré échapper à ces individus géolocalisables… Et les futures proies que nous sommes aussi. Mais, dans cette affaire de géolocalisation de nos ennemis, on peut aussi « tricher » avec nous. Et l’État Macron ne fait que cela.

 

François Célérier- Boulevard Voltaire

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