Poète, traducteur, critique d’art, professeur au collège de France, plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, Yves Bonnefoy est mort le vendredi 1er juillet à Paris, à l’âge de 93 ans. Cet immense écrivain était un homme multiple. Malgré la diversité de ses activités, une même intuition semblait toujours guider sa démarche qu’il appelait « la vérité de parole », ou le souci de saisir « ce que la vie a d’immédiat ».
Dans l’intensité poétique, manifestant aussi une curiosité insatiable pour toutes les formes artistiques (il a écrit des essais sur Picasso, Balthus, Giacometti, Mondrian, Alechinsky), Yves Bonnefoy a construit une œuvre ouverte, à multiples entrées, dans laquelle l’expression est toujours approfondie par une exigence de pensée. Le poète se méfiait cependant du concept qui, pensait-il, nous écarte de l’essentiel : voulant à tout prix identifier nos expériences, il les limite, et nous prive, de surcroît, de la présence du monde. « La tâche du poète est de montrer un arbre, avant que notre intellect nous dise que c’est arbre », écrivait-il.(…)
Si Bonnefoy reconnaît que le surréalisme a pu libérer la pensée du carcan des lois et des dogmes, il reproche à Breton de s’écarter du réel au profit d’un certain « occultisme ». Ce qu’il rejette sans doute aussi, c’est la dimension grégaire et idéologique de ce mouvement qui oppose la chimère au réel et privilégie l’opacité à la lumière. En fervent admirateur de Rimbaud, à qui il consacrera plusieurs essais critiques, c’est bien la « réalité rugueuse » qu’il cherche à étreindre, comme le poète d’Une saison en enfer. Et non une improbable surréalité.
En 1947, Yves Bonnefoy décide de rompre définitivement avec le surréalisme, peu de temps avant l’ouverture d’une exposition internationale consacrée à ce mouvement à la galerie Maeght, organisée par André Breton et Marcel Duchamp. S’il s’éloigne d’André Breton, il ne reniera cependant jamais son influence : l’ouverture au rêve, notamment, et l’accès aux « grandes images imprévisibles, sauvages ».
C’est à 31 ans qu’Yves Bonnefoy fait sa véritable entrée en littérature. En 1954, il publie un recueil de poèmes, Du mouvement et de l’immobilité de Douve , immédiatement salué par Maurice Nadeau, le créateur des Lettres nouvelles, en des termes définitifs. « On ne se rappellera peut-être plus, écrit-il, qui a eu le prix Goncourt, mais il faudra se souvenir de ce que, cette année, a paru le premier recueil d’un grand poète. Il faut marquer d’une pierre blanche l’avènement d’Yves Bonnefoy et le nouveau départ qu’il a fait prendre à la poésie. (…)»
Son œuvre comprendra de nombreux essais critiques consacrés aux peintures murales de la France gothique et à l’art baroque (Rome, 1630, Flammarion, 1970). Cet héritage artistique, c’est dans L’Arrière-Pays (Gallimard, 1972), qu’Yves Bonnefoy lui rendra son plus profond hommage. Ce livre oscille entre l’autobiographie et la réflexion philosophique. Yves Bonnefoy y éclaire le cheminement de sa vie à la lueur de l’art et dans la recherche du « vrai » lieu, dont il retrouve l’essence dans la peinture de la Renaissance. Un monde enfin possible, dont il pense que « personne n’y marcherait comme sur une terre étrangère ».
Fasciné par le temps
Ce souci du dialogue constant avec toutes les formes d’art, il le vit dans d’autres aventures fécondes, mêlant le travail et l’amitié. En 1967, avec le poète Jacques Dupin, le critique Gaétan Picon, et l’écrivain Louis-René des Forêts, il fonde L’Ephémère. Cette revue, qui constitue un pont entre la parole et les arts, fait se rencontrer hommes d’écriture et d’images. Elle a « pour origine le sentiment qu’il y a une approche poétique du réel dont l’œuvre est le moyen non la fin », écrivait-il. Malgré sa courte vie (cinq numéros), cette revue marque son époque et voit naître des voix de nouveaux écrivains, comme Pascal Quignard ou Alain Veinstein.
Pour Bonnefoy, le texte est une rencontre vers ce qui est proche, mais aussi étranger – son activité de traducteur en témoignera. En 1960, il traduit Jules César, de Shakespeare. La pièce est jouée à l’Odéon, avec des décors créés par son ami Balthus, et une mise en scène de Jean-Louis Barrault. Il traduira par la suite une dizaine de pièces de Shakespeare, mais aussi Yeats, Pétrarque, Leopardi… Il consacrera aussi de nombreux essais à la traduction qu’il considérait proche de la création poétique, parce qu’elle est aussi un acte de transformation du langage.(…)
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Car Yves Bonnefoy était un poète du réel ; fasciné par le temps, peu par l’époque. A propos du monde contemporain, il se méfiait de toutes sortes d’idéologies, autant de menaces pour la poésie, qui doit, pensait-il, se déployer loin des systèmes de pensée. « Le XXIe siècle, avait-il confié au Magazine littéraire en avril 2008, c’est bien possiblement celui qui verra la poésie périr, étouffée sous les ruines dont il couvre le monde naturel autant que la société. »
24 juin 1923 Naissance à Tours
1945-1946 Fréquente les milieux surréalistes. Visites à André Breton à son retour d’Amérique
1947 Peu avant l’Exposition internationale du surréalisme, rupture avec André Breton
1950 Publication des premiers poèmes de « Du mouvement et de l’immobilité de Douve »
1959 « L’Improbable », recueil d’essais sur l’art et la poésie
1970 « Rome, 1630 : l’horizon du premier baroque ». A l’automne, enseignement à l’université de Genève (en remplacement de Jean Rousset)
1981 Election au Collège de France (chaire d’études comparées de la fonction poétique)
1990 « Entretiens sur la poésie (1972-1990) »
2016 : Publication de «L’Echarpe rouge »
1er juillet 2016 Mort à Paris