Son dossier paru le 22 avril dernier sur l’activité criminelle classée par nationalité a fait tomber les réactions en pluie sur Le Progrès : dépôts de plainte de la part d’associations, articles de presse cinglants, caricatures humiliantes. Mais aussi, plus discrète, l’annulation d’une participation de 17000 euros de la région Rhône-Alpes à la soirée « Diversité et Entreprises », un événement organisé par le quotidien régional avec remises de trophées.
« Un vrai lynchage ». Les termes sont revenus chez de nombreux journalistes du Progrès, dépités non seulement par l’infographie qu’ils ont découverts le mardi 22 avril au matin dans leur journal, mais aussi par la salve d’articles acides, de caricatures qui ont circulé sur les réseaux le jour-même puis les suivants.
Au lendemain de la crise, la porte d’entrée du journal, situé à Confluence, a été taguée. La voiture d’un commercial, floquée « Le Progrès », a aussi été dégradée.
Aucun journaliste n’a échappé aux explications avec ses interlocuteurs. Aux coups de fil.
La Une du journal du 22 avril était intitulée « Délinquance, criminalité organisée, qui fait quoi dans le Rhône ? » et consacrait donc un dossier à un classement des crimes et délits commis dans le département, en fonction de « nationalités impliquées », réalisé à partir d’un rapport Sirasco de la police judiciaire et d’échanges entre la journaliste fait-diversière et ses habituels interlocuteurs, police/gendarmerie.
Une infographie accompagnait le tout. Absurde, elle intégrait dans la catégorie nationalités des « Roms », des « toxicomanes », des gens venus « des cités de Marseille », des « Africaines »… Auxquels étaient donc attribuées des spécialités telles que les cambriolages, la prostitution, les vols de ferraille…
Dans la journée, Florian Philippot, vice-président du Front national, twitte un gros « bravo » au Progrès.
Se faire un canard de PQR
Une autre promo aussi inattendue, non souhaitée, qu’immanquable, est venue achever, comme un coup de grâce, cette journée noire pour la rédaction du quotidien local. Le Petit Journal de Canal + consacre à « l’affaire du Progrès », le soir-même de la publication de l’article, un reportage plutôt long, se terminant par une parodie humiliante. Avec une légère pointe de mépris déversé depuis Paris sur cette presse locale.
Jean-Claude Lassalle, directeur délégué au Progrès, en charge notamment des partenariats, est quelque peu amer : « On considère que ce qui s’est passé est très injuste. Il peut y avoir une erreur, dont le rédacteur en chef s’est d’ailleurs excusé. On continue à tracer sereinement notre route, celle de l’info, du respect de la diversité, parce qu’on considère que c’est une chance. On est le seul journal à avoir lancé une opération de valorisation de la diversité ».
Moins 17 000 euros dans le budget des Trophées de la diversité
La soirée Diversité et entreprises, événement estampillé Le Progrès, est en effet organisée depuis six ans et récompense des initiatives locales en rapport avec la « promotion de la diversité ». La Région devait s’engager pour cette édition 2014 à hauteur de 17 000 euros. Mais au lendemain de la parution de l’article sur la criminalité dans le Rhône, elle a fait machine arrière.
« Je ne me voyais pas cautionner cet événément après un article pareil. Pas possible », lâche Farida Boudaoud, vice-présidente du conseil régional.
Elle se trouve à la tête de deux délégations, la Culture et la Lutte contre les discriminations. C’est à ce dernier titre qu’elle avait été sollicitée par Le Progrès. Et qu’elle s’est finalement retirée, sans plus de bruit.
Tandis que des communiqués d’associations, d’élus ou de groupes politiques sont tombés en rafale jusqu’à quatre jours après la publication de l’article, la Région a également voulu sanctionner, mais en silence. Sans communication. Pas si simple de toucher au quotidien régional.
La somme de 17 000 euros peut paraître non négligeable pour un événement dont le budget se situe « entre 60 000 euros et 100 000 euros » -fourchette très large- mais pas de quoi faire ciller Jean-Claude Lassalle, à la manoeuvre pour l’organisation de cette soirée :« La Région ne vient pas, que voulez-vous que je vous dise ? L’événement se tiendra quand même. »
Les autres partenaires et financeurs restent à l’affiche du programme, soit Pôle emploi, Grand Lyon Habitat, L’Autre Cercle (association homosexuelle), la Banque Populaire Loire et Lyonnais, et Agefiph (association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées).