Le malaise social et fiscal français révélé par le mouvement des Gilets Jaunes n’en finit pas. Cela fait bientôt 5 mois que les manifestations hebdomadaires se succèdent en France, du jamais vu dans notre pays. Et l’allocution fleuve d’Emmanuel Macron le 25 avril dernier n’a pas convaincu une majorité de Français si l’on en croit les sondages. Ni a fortiori les Gilets Jaunes.
En réalité Emmanuel Macron n’arrive pas à éteindre la grogne sociale et fiscale. Pourquoi ?
Parce que sa légitimité populaire est faible, ce qui l’empêche d’apporter la réponse politique qui convient.
A peine au bout de deux ans de mandat, Emmanuel Macron est déjà dans une impasse.
Le fruit d’une effraction politique
Emmanuel Macron peut certes s’appuyer sur les solides institutions de la 5e République, sur les escadrons de CRS et sur le soutien sans faille du pouvoir médiatique pour la suite de son quinquennat. Il peut également transformer l’Elysée en camp retranché.
Mais il ne saurait oublier pour autant que, dans la logique de nos institutions, la légitimité populaire doit en permanence soutenir la légalité politique. Or c’est justement la légitimité populaire qui fait défaut à Emmanuel Macron.
L’intéressé l’a reconnu avec honnêteté, sinon avec cynisme : son succès à la présidentielle a correspondu à une sorte « d’effraction [1]» politique. Homme de gauche rallié au néo-capitalisme, il a profité en effet à la fois de l’effondrement des socialistes tout au long de la présidence de François Hollande et de l’échec de François Fillon, empêtré dans une affaire judiciaire et médiatique mise à jour en 2017. Comme il a profité de son duel au second tour, face à Marine Le Pen.
Mais ce blitzkrieg politico-médiatique a justement une contrepartie politique: Emmanuel Macron n’incarne aucune dynamique politique durable dans notre pays et, en tout cas, aucune dynamique populaire.
Un vice rédhibitoire sous la Vème République.
Une faible légitimité populaire
Au premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron n’a en effet rassemblé que 24 % des voix, soit 8,6 millions d’électeurs. C’est-à-dire moins que François Hollande en 2012[2] ou que Nicolas Sarkozy en 2007[3].
Il n’a fait un meilleur score que par rapport à celui de Jacques Chirac en 2002, alors que ce dernier était en perte de vitesse dans son électorat et que Jean-Marie Le Pen allait se positionner pour le second tour en éliminant le candidat socialiste.[4] Et, au second tour des présidentielles de 2017, Emmanuel Macron a rassemblé sous son nom et comme ses deux derniers prédécesseurs, moins de la moitié des électeurs inscrits[5] : 43,5 %. Un précédent fâcheux…
La situation est encore plus criante s’agissant du « parti » présidentiel, La République en Marche, créé de toute pièce à partir d’éléments disparates[6] : au premier tour des législatives de 2017, qui a connu une abstention record[7], LREM a rassemblé 6,4 millions de voix soit 13,4 % des inscrits et au second tour : 7,8 millions de voix soit 16,5 % des inscrits. En d’autres termes, la « majorité » à l’Assemblée Nationale représente une… minorité d’électeurs inscrits.
Chirac pouvait capitaliser sur une certaine image du gaullisme. Nicolas Sarkozy avait su séduire la droite par un discours innovant.François Hollande incarnait encore les espoirs de la Gauche en 2012.
Mais Emmanuel Macron et son parti sont minoritaires dans l’opinion. Pire, ils n’incarnent au surplus rien d’enraciné dans la psyché nationale.
Une situation incompatible avec le fonctionnement normal de nos institutions
Cette situation n’est pas purement statistique mais traduit surtout une réalité politique incompatible avec l’esprit et le fonctionnement normal de nos institutions. Emmanuel Macron ne peut compter que sur le soutien d’environ un électeur sur trois au mieux. Il est, au sens propre, un président impopulaire et cela depuis son élection.
Il est d’ailleurs frappant de constater que dans les sondages d’opinion[8], on retrouve cette proportion presque constamment : en général deux personnes interrogées sur trois expriment un jugement négatif sur la politique voire la personne même du président de la république. Et cette proportion ne change pas dans le temps, sinon dans le mauvais sens.
En d’autres termes, Emmanuel Macron n’a pas réussi à créer une dynamique politique en sa faveur au bout de deux ans de présidence et cela, malgré une propagande médiatique incessante.
Comme il l’avouait d’ailleurs lors de son interview le 14 novembre 2018 : « Je n’ai pas vraiment réussi à réconcilier le peuple Français avec ses dirigeants (politiques). » Il ne pouvait ignorer que ce constat le visait au premier chef .
Le mouvement des Gilets Jaunes a en effet mis en lumière qu’une partie de la population avait désormais une véritable hargne sinon une haine vis-à-vis de sa personne. Il faut remonter à la guerre d’Algérie pour trouver un sentiment comparable vis-à-vis d’un président de la république…
L’impopularité interdit toute sortie politique de la crise
Conformément à la fois à l’esprit et à la pratique des institutions de la 5e république, la crise des Gilets Jaunes aurait dû se conclure par l’arbitrage du peuple souverain : soit par de nouvelles élections législatives soit par un référendum.
C’est d’ailleurs ainsi que le général De Gaulle – qui bénéficiait pourtant d’une toute autre légitimité politique et historique qu’Emmanuel Macron – a mis fin à la crise de mai 1968 : une dissolution de l’assemblée nationale, suivie d’un référendum l’année suivante, le 27 avril 1969, et qu’il a d’ailleurs perdu, entraînant sa démission.
Mais, minoritaire dans l’opinion depuis 2017, Emmanuel Macron ne peut se résoudre à cette solution politique pourtant évidente, car il est plus que probable qu’un référendum initié par lui serait un échec ou que LREM serait laminée dans le cadre de nouvelles élections législatives. Le président de la république perdrait alors fatalement tout moyen d’action.
Écartant cette solution politique, Emmanuel Macron a donc misé sur l’usure de la contestation sociale, grâce notamment à la répression policière des manifestations et à l’orchestration des violences de l‘extrême-gauche pour mobiliser en sa faveur le « parti de l’ordre ».
Mais cette stratégie ne produit toujours pas l’effet escompté.
L’heure de la politique circulaire
Le président de la république se trouve donc contraint de mener une « politique circulaire », consistant à tourner autour de la solution politique de la crise sans jamais oser l’aborder de front.
Grand Débat qui n’en finissait pas, allocutions et conférences de presse somnifères, annonces alambiquées, enfumage médiatique sur fond de gaz lacrymogènes…
Alors qu’il est bientôt à mi-mandat, le président en est désormais réduit à essayer de gagner du temps. Comme un banal président du conseil de la 4e république finissante.
Mais la politique circulaire signifie d’abord que la crise initiée il y a un an par l’affaire Benalla et ensuite par le mouvement des Gilets Jaunes, ne peut recevoir de solution politique institutionnelle normale. Telle une plaie ouverte mal soignée, elle ne peut donc que s’envenimer.
Cela signifie malheureusement que, privée de la régulation apportée par la souveraineté populaire, la nature autoritaire de nos institutions – caractérisées par un exécutif hypertrophié – ne peut que se renforcer. Et susciter des réactions populaires imprévisibles.
La suite du quinquennat d’Emmanuel Macron s’annonce bien mal.
Michel Geoffroy – Polémia
[1] Devant l’association de la presse présidentielle, en février 2018 , il s’est présenté comme le « fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction, parce que la France était malheureuse et inquiète. » Valeurs Actuelles du 14 février 2018
[2] 28,3% soit 10,2 millions de voix
[3] 31,18% soit 11,4 millions de voix
[4] 19,88% soit 5,66 millions de voix pour Jacques Chirac
[5] 20,7 millions de voix pour Emmanuel Macron , pour 47,56 millions d’électeurs inscrits
[6]la moitié des élus LREM viennent de la gauche, 23% viennent de la droite et 9% sont des novices.
[7] 57,36% d’abstention et 4,2% de bulletins blancs ou nuls !
[8] Voir « les Français ont la parole »surPolemia