Le rappeur Kanye West – monsieur Kim Kardashian à la ville – est coutumier du scandale. Il en a même fait une marque de fabrique, ce qui ne peut que profiter à sa petite entreprise et augmenter une fortune personnelle estimée à 145 millions de dollars, faisant de sa personne l’une des cent les plus influentes au monde, à en croire le magazine Forbes.
Pourtant, le dernier scandale en date ne ressemble pas exactement aux précédents, lorsqu’il se distingua comme l’un des seuls artistes afro-américains à soutenir Donald Trump, ce « dragon d’énergie », après avoir reproché à un autre locataire de la Maison-Blanche, George W. Bush, « de ne pas s’intéresser aux Noirs ». Interrogé par le site américain TMZ, spécialisé dans les coulisses du show-biz, Kanye West a-t-il ainsi déclaré, toujours à propos de ces mêmes « Noirs » : « On entend parler de l’esclavage qui a duré quatre cents ans ? Ça ressemble à un choix ! » On vous laisser imaginer le pataquès sur Internet…
En Occident, on dit que la vérité sort de la bouche des enfants. En Orient, il peut arriver qu’on puisse prêter une oreille attentive à qui est, là-bas, surnommé la « sagesse du fou ». De Kanye West, il n’est pas incongru de prétendre qu’il lui arrive de se montrer infantile et de connaître quelques menues sautes de courant dans les neurones, surtout quand il a un peu trop chargé la pipe à opium. Pourtant, la suite de ses propos mérite qu’on s’y attarde, au-delà de la polémique suscitée : « Nous sommes dans une prison mentale. J’aime le mot de prison, parce que celui d’esclaves est trop lié aux Noirs. » Et de tenter, face à la polémique, d’expliciter ce mot de « choix » : « Je sais bien que les esclaves n’ont pas été enchaînés et mis dans des bateaux de leur plein gré, mais nous ne pouvons pas être emprisonnés pendant les quatre cent prochaines années. Ce que je veux dire, c’est que le fait d’être restés aussi longtemps dans cette position, alors même que nous avions le nombre de notre côté, signifie que nous sommes mentalement esclaves. »
On a déjà lu plus idiot. C’est même d’autant moins idiot que, dans les années soixante du siècle dernier, le chanteur James Brown, autoproclamé « Godfather of Soul », faisait de sa peau noire un objet de fierté – « I’m Black and I’m Proud! » – et non de sanglots, tandis qu’à rebours de l’industrie du spectacle, il soutenait publiquement le président Richard Nixon. Pareillement, on ne saurait prétendre que les Black Panthers développaient alors une mentalité de pleurnichards ; c’était même un peu le contraire…
Puis, histoire d’encore aggraver son cas, celui qui se définit comme un « libre-penseur » s’est ensuite insurgé contre le choix de Harriet Tubman, militante afro-américaine historique de la lutte pour l’abolition de l’esclavage, pour illustrer les prochains billets de vingt dollars : « Quand je l’ai vue sur ce billet, c’est là que j’ai voulu utiliser le bitcoin ! C’est comme tous ces films d’esclaves… Pourquoi ça doit continuer à nous rappeler l’esclavage ? Pourquoi ne mettez-vous pas Michael Jordan sur le billet de vingt dollars ? » Ou Kanye West ? Bonne question, en effet.
Il est vrai que de ces deux côtés de l’Atlantique, le culte des victimes a peu à peu supplanté celui des héros. Au cinéma, adieu Shaft, sorte d’inspecteur Harry en plus foncé et moins pacifique, et bonjour la figure de l’éternel persécuté. Je souffre, donc je suis. Et des deux côtés de l’Atlantique, toujours, il s’agit d’un bizness des plus juteux, entre associations de chaisières et demandes d’indemnisation au moindre regard de travers en forme de stigmatisation. C’est donc cette confortable posture que Kanye West est en train de mettre à mal ; avec ses mots à lui, certes, un brin désordonnés, mais finalement frappés au coin du bon sens.
En attendant, sur les réseaux sociaux, c’est la chasse à ce Noir dont le seul crime consiste à vouloir échapper à l’esclavage du politiquement correct. Non content de faire peau neuve, le Ku Klux Klan n’en finit plus de ressusciter de ses cendres.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire