L’éditorial de la revue de l’association des anciens élèves de l’ENA de mars dernier [1] comporte une exhortation significative, sous la signature de son Président, Daniel Keller [2] : « les Populismes, voilà l’ennemi ! » On aurait pu s’attendre, en cette année 2018, à ce que les anciens de l’ENA s’inquiètent par exemple du chômage de masse, de la progression de la précarité sociale ou bien encore des risques de guerre. Ou, pourquoi pas, de la déconstruction néo-libérale des statuts publics. Les plus audacieux d’entre eux auraient même pu s’inquiéter du terrorisme islamiste, voire de l’incapacité à réguler l’immigration irrégulière en Europe.
Si vous pensez comme cela, assurément, vous n’êtes pas digne de faire partie de cette association. Car le seul sujet qui semble importer à ces anciens énarques, c’est… le populisme.
Une prose indigeste
Ou plutôt, comme l’écrit Daniel Keller, les populismes : le pluriel sert sans doute à faire plus sérieux et surtout à rester dans le vague. Quand on est haut fonctionnaire, on n’est jamais trop prudent !
L’éditorial s’attaque ainsi à ces « jeunes dirigeants insensibles aux leçons de l’histoire et qui s’estiment déchargés du fardeau du passé, renouent avec un langage d’exclusion et considèrent qu’on résoudra les tensions et les contradictions des temps présents en désignant des boucs-émissaires ».
Elève Keller vous aurez 18/20 en séminaire de Langue de Bois !
Essayons de décrypter cette prose indigeste.
Vive les vieux repentants !
Le problème pour ces anciens ce sont donc manifestement d’abord les jeunes.
Mais évidemment pas ceux des banlieues qui ont, comme chacun le sait – et notamment M.Borloo -, des incroyables talents à nous apporter. Ni bien sûr les jeunes comme Emmanuel Macron qui mène les réformes disruptives dont rêvaient tous les énarques.
Non, le problème vient de ces jeunes qui, en Europe, « s’estiment déchargés du fardeau du passé ». Traduisons : ce sont les jeunes qui en ont assez de la repentance européenne qu’on leur sert à toutes les sauces. Manifestement cela ne plait pas à ces anciens de l’ENA qui préféreraient donc sans doute une Europe peuplée de vieux croulant sous le poids d’une repentance éternelle et imprescriptible !
Ces jeunes renoueraient au surplus « avec un langage d’exclusion » ajoute Daniel Keller. La phrase ne signifie rien tant elle se veut généralisante. Qu’est-ce qu’un langage d’exclusion d’ailleurs ? Mystère et boule de gomme. En tout cas cela n’est pas bien pour Daniel Keller qui lui préfère sans doute l’écriture inclusive qui s’adresse à tous.tes. même s’il ne la pratique pas encore.
Ces jeunes désigneraient au surplus « des boucs-émissaires » : ce n’est sans doute pas bien non plus mais qui sont ces fameux boucs ? Daniel Keller, qui a vraiment le goût du secret -on ne se refait pas- ne nous en dit pas plus.
Bla-Bla-Bla
On épargnera au lecteur le reste de l’éditorial avec ses envolées du genre « c’est… dans le renouveau d’une éthique du respect de l’autre que nos pays sauront peu à peu se redresser ». Ou bien encore : c’est « le rôle des énarques d’être les hussards noirs de cette reconquête » grâce notamment « à un esprit de transmission qui fait de chaque haut fonctionnaire le dépositaire d’un héritage qui n’est précédé d’aucun testament ».
Un bla-bla digne d’une allocution de sous-préfecture pour fin de banquet arrosé !
Une incapacité à comprendre le monde
On m’objectera qu’un éditorial dans une revue d’anciens élèves n’est qu’un exercice de circonstance et qu’il ne faut pas lui attacher trop d’importance. Même s’il figure sous la signature d’un ancien Grand Maître. Je n’en suis pas si sûr.
Cet éditorial dénote en effet une affligeante incapacité à comprendre le monde qui vient comme à comprendre la défiance croissante des peuples européens contre les oligarchies qui les ont mises en servitude. Daniel Keller, tentant manifestement d’analyser ces fameux populismes qui, selon lui, sont une « imposture », pointe sans rire « le mirage de l’individualisme (qui) a pavé la route des nations de déconvenues qui appellent un sursaut pendant qu’il est encore temps ». Ces gens-là on à l’évidence du mal à s’exprimer simplement !
Mais comme il est plaisant de voir critiquer l’individualisme alors que quelques lignes plus loin on fait appel aux fameuses « valeurs » pour nous sauver : des valeurs libérales/libertaires et cosmopolites qui reposent justement sur la promotion d’un individualisme radical !
“Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.” déclarait Bossuet. Mais il est probable qu’on n’enseigne pas Bossuet à l’ENA ni au Grand Orient.
Le monde échappe aux oligarques
Daniel Keller, décidément très en verve, appelle de ses vœux le « respect des règles de droit fondatrices d’une culture du compromis opposée à l’exaltation de l’affrontement ».
On ne sait toujours pas qui il vise : Donald Trump et Emmanuel Macron violant le droit international pour bombarder un Etat souverain sans lui déclarer la guerre ? La guerre des Saoudiens au Yemen ? Le rejet a posteriori du traité sur le nucléaire iranien pourtant régulièrement conclu ? L’oubli par les occidentaux du vieux principe européen Pacta sunt servanda [3] ? Le harcèlement diplomatique de la Russie ?
A l’évidence la marche du monde ne correspond pas à cette culture du compromis que semble recommander l’auteur de l’éditorial !
Cela montre qu’en réalité le monde est en passe d’échapper à l’oligarchie occidentale et en particulier aux Européens qui regardent l’histoire se faire sans eux, voire contre eux.
L’ennemi c’est la décadence des oligarchies européennes
Non Daniel Keller, l’ennemi n’est pas le populisme européen !
L’ennemi c’est la décadence des oligarchies européennes qui vivent enfermées dans leur bulle, coupée des peuples et des dures réalités de notre temps.
L’ennemi n’est pas le prétendu « discours d’exclusion » mais la langue de coton et la langue de bois de nos oligarques qui tentent d’échapper au réel en se cachant derrière les mots parce qu’ils ne sont plus capables de l’affronter.
L’ennemi ce n’est pas la culture de l’affrontement, mais la trahison des élites publiques qui se sont ralliées au projet mondialiste de la super classe mondiale et qui s’attaquent chaque jour un peu plus à la liberté, à la souveraineté et à l’humanité de l’homme.
Mais il est probable que ce démenti ne paraîtra pas dans le prochain éditorial de la revue de l’associations des anciens élèves de l’ENA !
Il ne faut pas réveiller les papys de l’énarchie de leur confortable somnolence…
Michel Geoffroy
[1] L’Ena Hors les Murs , N°478 de mars 2018
[2] Daniel Keller né en 1959, est chef d’entreprise et a été grand maître du Grand Orient de France d’août 2013 à août 2016.
[3] Du latin « les conventions doivent être respectées »