Le cinéma allemand contemporain ne cesse d’innover en matière de fictions historiques. Celles-ci pouvaient jusque-là se répartir en deux catégories : la période du nazisme (La Chute, Walkyrie, Sophie Scholl), et « l’Ostalgie » de la RDA, qui fit le succès de Good Bye Lenin!, Le Tunnel et autres Sonnenallee.
Avec Fritz Bauer, un héros allemand, le réalisateur Lars Kraume nous propose un film de l’entre-deux, un film sur l’après-guerre, mettant en scène le célèbre juge de Francfort lancé dans la traque des responsables nazis, et en particulier d’Adolf Eichmann. Désigné comme l’un des artisans les plus acharnés de la « solution finale », ce dernier serait en effet réfugié en Argentine, coulant des jours paisibles à Buenos Aires sous une fausse identité. Confrontés alors au silence coupable d’une administration allemande au sein de laquelle se cachent d’anciens nazis reconvertis, Fritz Bauer et son collègue (fictif) Karl Angermann entreprennent de faire appel au Mossad pour arrêter Eichmann en vue de l’extrader vers l’Allemagne et de le juger comme il se doit.
Construit comme un film d’espionnage à l’ancienne, feutré, bavard, mais instructif, Fritz Bauer se révèle un film passionnant à suivre en dépit de moyens conventionnels.
La déception vient très vite, cependant, de ce que le réalisateur cherche désespérément à lier la quête des deux héros à leur homosexualité – ainsi qu’avait pu le faire Morten Tyldum avec Imitation Game (lire notre article à ce sujet) –, celle-ci servant de moyen de pression pour l’administration allemande afin de convaincre Karl Angermann de saboter le travail de son ami Bauer. Angermann, bien entendu, s’y refusera finalement en allant de lui-même se livrer aux autorités locales (l’homosexualité était alors passible d’une peine de six mois de prison). Seule ombre au tableau : cet aspect du récit autour du sacrifice héroïque de Karl Angermann, grâce à qui le combat de Bauer sera rendu possible à la fin, est tout aussi fictif que son personnage !
Comme si les seuls faits historiques ne suffisaient plus à intéresser le spectateur, il fallait inventer une histoire de chantage.
Au-delà même de l’indécence qui consiste à récupérer une affaire historique d’envergure pour faire insidieusement du militantisme politique LGBT, le réalisateur en vient sans le vouloir à minimiser le mérite réel de Bauer au profit d’un comparse imaginaire ! Comparse dont il n’est fait nulle part mention, au générique, du caractère fictif !
Et que dire – à notre époque de « pourtousisme » festif, jaloux et revendicateur, où les anti-mariage homosexuel sont constamment criminalisés – de ce procédé fallacieux qui consiste à associer la souffrance des homos à l’administration nazie ?
Sans doute les groupuscules LGBT, qui ne sont pas les moins rodés à la pratique de l’amalgame, se réjouiront du tableau. C’est par cette criminalisation médiatique du camp adverse, après tout, qu’avec seulement 2.000 militants, les amis du très libéral Pierre Bergé ont su faire plier 65 millions de Français récalcitrants pour imposer leurs lois sociétales (y compris aux homosexuels qui n’avaient rien demandé). Le tout dans une vision toujours plus idéalisée – bien que problématique – de la démocratie…
Enfin, on ne boudera pas le plaisir de la « communauté » LGBT à se créer artificiellement des héros historiques autour desquels nourrir sa complaisance victimaire à des fins politiques.
Un film historique qui ne manque pas d’intérêt, et une charge politique aussi perverse que maligne.