« Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire. » Le candidat Hollande qui prônait en 2012 une ferme volonté de ne pas s’immiscer dans la nomination des présidents de chaînes publiques a pris garde de ne pas s’engager sur les grands patrons des sociétés contrôlées par l’État. Et il n’a pas manqué d’user de ce pouvoir réservé, traditionnellement, au souverain dont le costume trop grand pour lui l’embarrasse.
La célèbre promotion Voltaire de l’ENA lui a servi de vivier où trouver quelques personnalités fidèles : c’est ainsi que nombre de camarades énarques bénéficient de confortables fonctions au sommet de l’État, à l’Elysée, dans de nombreux ministères, dans la magistrature ou à la tête d’obscurs comités à l’utilité inversement proportionnelle à la rémunération de leurs membres. La République est bonne fille : elle sait récompenser ses soutiens et les placer là où il faut pour assurer, discrètement, leur fidélité à un système sans grand rapport avec l’aristocratie des anciens. Le pouvoir des meilleurs a cédé la place à celui des élites.
Dernière nomination en date, celle de Jean-Marc Janaillac, nommé président d’Air France KLM, en remplacement d’Alexandre de Juniac. L’homme semble reconnu pour sa compétence, sa discrétion et ses succès dans d’autres missions délicates, notamment à la tête de diverses entreprises publiques, souvent méconnues, en difficulté. Il devrait conduire la restructuration de la compagnie nationale avec prudence et efficacité. En cela, il pourrait être l’homme de la situation. Mais, pour son malheur, il est membre de la célèbre promotion, et taxé pour cette raison de favoritisme. Non sans quelque apparence de raison, au vu du nombre de ses anciens congénères bénéficiaires d’une poste prestigieux dans l’administration.
En somme, rien ne change sous la présidence normale de monsieur Hollande. Les amis sont placés à des postes stratégiques ; les dernières nominations au Conseil constitutionnel, de celles des très socialistes mesdames Maestracci – fidèle du Syndicat de la magistrature — et Belloubet, en 2013, à celle de Laurent Fabius à la présidence en 2016 sont révélatrices. Au sein de l’administration préfectorale, des hommes sûrs verrouillent le système. Dans l’Éducation nationale, les camarades sont légion : il est vrai qu’il s’agit d’un bastion habituel du socialisme le plus éculé. Partout, à l’Intérieur, à la Caisse des dépôts et consignations, au CSM, et tant d’autres, les fidèles du Président reçoivent honneurs, responsabilités et prébendes.
Cela s’est toujours fait ainsi ? Sans aucun doute. Nul pouvoir ne peut exercer les responsabilités sans une administration loyale et compétente dont elle constitue le bras armé. Reste que la notion même de démocratie s’accommode assez mal de ces nominations politiciennes, qui laissent subsister, à chaque alternance, des hommes et des femmes d’influence au cœur de l’État alors même que le peuple, qu’on prétend souverain – on rigole trente secondes et on reprend —, a décidé d’une nouvelle orientation politique. Quant aux fameuses « valeurs de la république » qui ne saoulent pas que Marion Maréchal, ne devraient-elles pas faire primer le mérite et la compétence sur l’allégeance partisane ?
Le regretté Vladimir Volkoff avait écrit un jour un petit ouvrage intitulé Pourquoi je serais plutôt aristocrate. Non au sens commun du terme, bien entendu, mais au sens étymologique : le pouvoir des meilleurs. Nul doute que, parmi les grands commis de l’État, certains sont de vrais aristocrates. Jean-Marc Janaillac en fait peut-être partie. Mais la France gagnerait infiniment à remettre à l’honneur cette notion oubliée : promouvoir les meilleurs, sans laisser à quelques politiciens avides de fidélités douteuses le choix de ces nominations. En somme, il faut réconcilier démocratie et aristocratie. Il faudra, pour cela, plus qu’une simple alternance politique.