Il est presque dommage que David Lean fût un si grand cinéaste. Tout le monde a vu son film, et peu lisent aujourd’hui le roman d’où il est tiré. C’est le syndrome du Guépard, déjà décrit dans ce blog.
L’affaire vaut pourtant le détour : Le docteur Jivago est un très beau roman. Il a connu d’ailleurs un grand succès depuis sa parution en France en 1958 avec plus d’un million d’exemplaires parus.
Pour les cinéphiles qui hésiteraient à entreprendre la lecture des 700 pages de Jivago, sachez que l’histoire et les personnages diffèrent sensiblement du film. Certes, la trame amoureuse est similaire : Youri Andréiévitch Jivago épouse Antonina (Tonia) Gromeko mais tombera amoureux de Larissa (Lara) Antipova.
La psychologie des personnages est en revanche très différente. Jivago n’est pas aussi léger, Lara pas aussi innocente et Tonia est d’une grande intelligence. Sa lettre d’adieu à Jivago, déchirante, est un très beau moment de littérature.Pavel Antipov, qui a abandonné sa femme Lara pour devenir le général bolchévique Strelnikov, est loin d’être le monstre froid du film. Sa nuit de noces qui lui révélera le passé de Lara en fait un autre homme : « Pendant cette nuit, qui dura une éternité, Antipov connut tout à tour le comble de la félicité et le fond du désespoir. Les aveux de Lara éveillaient sans cesse en lui de nouveaux soupçons. Il interrogeait et, à chaque réponse de Lara, son cœur défaillait comme s’il volait dans un précipice. Ils parlèrent jusqu’au matin. Dans la vie d’Antipov, il n’y eut pas de changement plus frappant et plus soudain que cette nuit-là. Le lendemain, il était un autre homme, il s’étonnait presque de porter toujours le même nom. » Son dernier dialogue avec son rival Jivago, alors qu’il est traqué par ses anciens amis bolchéviques, est particulièrement émouvant.
D’ailleurs Lara regrette cet échec conjugal et le dit froidement à Youri, qu’elle aime pourtant : « Je vais te dire. Si Strelnikov devenait à nouveau Pacha Antipov. S’il cessait de faire le fou et le révolté. Si le temps revenait en arrière. Si quelque part au loin, au bout du monde, par un miracle, je voyais s’éclairer la fenêtre de notre maison avec la lampe et les livres de Pacha sur sa table de travail, il me semble que je me trainerais vers lui en rampant, sur les genoux. Je ne résisterai pas, semble-t-il, à l’appel du passé, de la fidélité. »
Nous sommes bien dans la philosophie des grands romans russes du XXè siècle, analysant lyriquement tous ces destins broyés par la guerre et la révolution.
Pasternak qui obtint le Prix Nobel avec ce livre ne put ensuite jamais revenir en URSS où son roman ne parut qu’en 1985.
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