Jean-Claude Sacerdot a été parachutiste, joueur de rugby, mais surtout inspecteur de police et, pour finir, journaliste (cinq ans) au Luxembourg. Ce Franco-Luxembourgeois, ami des chats, qui est aussi un chat à sa façon, vit à présent en Normandie. Depuis 2011, il écrit des romans policiers.
— Avant de vous lancer dans le roman policier, vous avez été vous-même policier, inspecteur de police au Quai des Orfèvres, pour être précis. C’est un schéma assez classique : le policier ou le truand (parfois un juge ou un avocat) qui devient auteur de polars. Un policier est-il bien placé pour raconter des aventures policières ? Il est juge et partie, en quelque sorte…
— Non, s’il s’agit de roman. Une fiction donne toutes les libertés. Le fait d’avoir été « flic » permet d’être crédible, d’avoir le ton du « vécu » et le discours professionnel qui convient.
— Votre héros, Lucky Lux, nous est présenté comme un relativement jeune et « infiniment séduisant » commissaire divisionnaire. C’est le personnage central ultra-classique du roman policier traditionnel. En quoi ce Lucky Lux se distingue-t-il de la masse des San Antonio et autres Wexford ou Harry Bosch ?
— Mon commissaire Hoffmann (surnommé Lucky Lux) est un anticonformisme. Méfiant à l’égard de ce que la doxa veut imposer, comme il l’est de toutes ces « élites » prétendant faire le bien du monde… mais certainement pas le nôtre ! Il vomit la « repentance » et n’adhère pas aux thèses mondialistes. Franco-Luxembourgeois, donc, au regard des commissaires de romans d’aujourd’hui en France, un ringard ! Je l’ai voulu ainsi, à l’ancienne. Au Luxembourg, on soigne sa mise, on connaît encore la courtoisie, la galanterie, on aime sa patrie, son prince le grand-duc, et on est d’une efficacité redoutable. On n’a pas honte d’être aisé, sinon riche, tout ce que la France a connu avant que se déchaîne l’hystérie du tout égalitaire, de la chasse au « facho », mot fourre-tout où l’on range tous ceux qui ont peu de goût pour la pensée unique et résiduelle de « gôche » comme il se doit.
— Le titre de certains de vos romans rappelle précisément San Antonio : La Cuisse racée de Potemkine, Des petits saints qui tombent. Mais il s’agit de gros livres (400 pages et plus), écrits dans un style plus réaliste que les San Antonio. Quelles sont vos influences, ou au moins vos références, dans le domaine du polar ?
— Joker, Monseigneur ! Si je suis éperdu d’admiration pour Frédéric Dard, l’un des plus grands auteurs français, je suis plus réservé pour son San Antonio. Seuls ses dix ou douze premiers « San A. » m’ont ravi. En revanche, quand il signait Frédéric Dard, ça donnait souvent du caviar. Le bougre avait du métier mais sans Céline que serait-il advenu de lui ? Mon polar à moi, mon influence, c’est une sorte de triptyque d’enfer… J’ai nommé Léo Malet, André Héléna et A.D.G. Ces trois-là ont tout fait, tout dit. Si on ne les a pas lus, on n’est pas sur la même longueur d’onde. L’honnêteté me commande de ne pas faire l’impasse sur les héros de série noire américains, Marlowe, Carella, Hammer, etc. Côté rosbifs, je ne peux m’empêcher de relire sporadiquement Sherlock Holmes de A à Z.
— Le Quai des Orfèvres, avec son inconfort, mais le charme du site, a fermé en 2017 pour partir dans le XVIIe arrondissement, à une porte de Paris. Avez-vous des échos sur la façon dont vos anciens collègues (et accessoirement Lucky Lux) ont vécu ce changement ?
— Le « 36 » est mort, vive lui ! L’autre « 36 » le « Batignolot », « le moulin de la galère », « les folies berbères », et j’en passe, ne pourra jamais extirper de la mémoire de l’histoire de la police, ce Quai des Orfèvres de magie, de fantasmagorie, de rêve pour tout flic de PJ digne de ce nom. C’est le crève-cœur pour ceux qui y ont passé une partie de leur vie. Le « 36 » était fait de tellement de choses qu’il faudrait y consacrer une encyclopédie. Adieu le « 36 ! » Fermez le ban !
— Votre tout dernier livre, Cœur de fer, nous est présenté comme un polar historique. Vous changez complètement de genre. Pourquoi ce changement ? Pourquoi la chouannerie ? Ces va-et-vient entre partisans des « idées nouvelles » et résistants contre-révolutionnaires, on en retrouve le principe chez Cecil Saint-Laurent (la série des Caroline chérie) et, avant cela, chez Alexandre Dumas (Le Docteur mystérieux et sa suite, La Fille du marquis). La période révolutionnaire vous semble-t-elle offrir encore des opportunités pour les romanciers ?
— J’ai lu et dévoré La Varende, Chiappe, Bernet, Pérochon, Sanders, Crétineau-Joly et Hugo bien sûr, comme Max Gallo et tant d’autres que j’oublie. Pascale, la femme de ma vie qui, par le plus grand des hasards se trouve être mon épouse, m’a soufflé qu’il serait temps pour moi d’écrire comme un grand et de lâcher un peu le « 36 » justement et ses petits frères : « Toi qui aimes tant l’histoire, trouve-toi une trame historique ! » C’est parti comme en 14 ! Rebelle dès ma naissance, je frémis quand on me parle des « valeurs de la république » ! Il suffit de lire les auteurs cités plus haut, on a un fier exemple desdites « valeurs » ! L’inverse de tout ce qu’on m’a enseigné.
Le goût du « chouan » m’est venu de la grand-mère qui m’a élevé avant de m’envoyer faire mes humanités à l’Assistance publique comme la fille du même nom ! Pas rancunier, non ? Pour un ancien petit scout (5e Asnières – Groupe Baudoin) grand lecteur de « Signe de piste », les figures de La Rochejaquelein, Lescure, La Rouërie, Bonchamps, Charette, Cadoudal ont achevé de me convaincre que tous ceux qui étaient « bleus » étaient d’infâmes salauds et ceux qui étaient « blancs » étaient… euh… blancs, justement. Le seul « rouge » que j’ai aimé d’amour, c’était celui au goût de pierre à feu et d’amitié vraie du « Père tranquille », de l’inoubliable et divin ombrageux Jean Nouyrigat.